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silencieusement une des cimes qui entourent le monastère, et, sous les dernières lueurs du couchant et les premières étoiles, ils se dirent leurs fautes et jurèrent de travailler à les éviter, puis ils rentrèrent au couvent, meilleurs certainement déjà et réalisant un peu plus l’admirable devise de Pasteur : « Regarder en haut, apprendre au-delà, chercher à s’élever toujours. »

« J’étudie l’histoire des Trappistes, dit le Journal (15 juillet), je suis assidûment les exercices de la maison. Rien de plus beau que le Salve Regina chanté à l’office du soir. Pour l’entendre, on devrait venir à la Trappe, si aucune autre considération ne vous y conduisait. Je continue mon examen de conscience. J’ai lu avec l’intérêt le plus vif l’histoire de Rancé et de Dom Augustin Delestrange. En voyant leurs traverses, les persécutions de leurs ennemis, les doutes de leurs amis, on se sent plein d’une profonde admiration pour ces héros des luîtes intérieures et l’on se trouve soi-même bien indigne, bien faible, bien misérable à côté de pareilles âmes. Puissé-je apprendre dans la méditation de leur vie la foi au beau, au bon, au vrai, cette foi robuste qui résiste aux prospérités et ne succombe pas aux malheurs ! » (15 juillet.)

Dans le recueillement pieux qu’il aime, sa pensée s’élève encore. Il écrit à son frère Ernest une protestation ardente contre les moyens révolutionnaires dont il n’a été que trop à même de juger les funestes effets :

« 15 juillet. — Aux jours où la température est lourde, écrasante, l’on appelle l’orage, mais le lendemain, quelles plaintes si les champs sont ravagés, les récoltes détruites ! Il valait mieux souffrir un peu : ce sont les douces rosées, les pluies tranquilles qui fécondent la terre… Qu’arrive-t-il quand une cause juste triomphe par l’insurrection ? Nous pouvons répondre avec expérience. Le succès ayant été amené par le mépris de la règle, par la violation de ce qui était la loi, le pouvoir tombe aux mains des hommes de désordre et d’injustice toujours aux premiers rangs dans de pareils mouvemens. Hardis, dévoués, héroïques dans la lutte, iniques, emportés après la victoire, ils apportent à la réédification les habitudes de leur vie d’opposition et violent les lois dont ils sont les auteurs ou les gardiens avec la même facilité dont ils ont violé les lois abolies. Les anciens abus n’ont été détruits que pour faire place à d’autres abus ; la persécution qu’on a maîtrisée n’a