Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/608

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’âme. Je goûterais ainsi quelques instans de joie. Je m’efforce chaque jour de faire mieux pénétrer en moi ces idées raisonnables. Pauvre, solitaire, condamné à la Trappe par mes amis, je réchauffe souvent les bonnes pensées de ce qu’on peut appeler le Temps jadis. J’y reviens comme un vieillard radoteur qui ennuie ses enfans des mêmes récits aussi intéressans pour lui qu’ils le sont peu pour les autres. Je retrouve ainsi d’amers calices qu’il faut boire de nouveau en répétant le Tristis anima mea ; mais j’y retrouve aussi de consolantes heures, et, au nombre des meilleures, celles que j’ai passées auprès de vous et qui me rappellent le plus fraternel, le plus noble, le plus inépuisable dévouement ! — Comme vous le pensez, du reste, la disgrâce que j’ai subie n’a nullement modifié mes idées.— J’entends dire sans cesse autour de moi et dans ma famille : « Tu as été trop bon, on ne t’en sait aucun gré, que cela te « serve de leçon ! » Je persiste à soutenir que si la perfidie des réactionnaires de toutes nuances a sa part dans la ruine morale de la République, la plus grosse doit être attribuée à l’inintelligence des républicains de la veille. Les malheureux n’ont su faire qu’une chose, entraver, calomnier, tuer les hommes qui avaient la volonté et peut-être le pouvoir de les sauver. Puis ils crient à la trahison. Les traîtres les plus dangereux n’ont pas été ceux du Nouvelliste[1]. Ceux-là faisaient leur métier, mais ceux qui n’avaient pour mobile qu’une vengeance personnelle à satisfaire, une place à conquérir, et qui provoquaient lâchement les émeutes, de quel nom les appellerai-je ? Je ne puis écrire ces choses, j’aurais l’air de déserter les vaincus et de me joindre au chœur si bien nourri des voix qui blasphèment la République… Que toutes ces misères ne nous découragent point… L’avenir appartient aux hommes de paix et d’amour. La violence ne fonde rien, elle détruit les causes qui l’appellent à leur aide. La cendre d’un martyr jetée aux quatre vents du ciel a répandu plus de vérité que les armées des puissances ou les supplices des oppresseurs. La République sainte, pacifique, maternelle que j’ai pratiquée à Marseille, triomphera, n’en doutons pas, et des fautes de ses maladroits amis et des persécutions de ses ennemis. Faisons seulement en sorte que le nombre des croyans s’augmente et se fortifie. »

  1. Feuille légitimiste de Marseille.