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autour d’un drapeau rouge. Déjà le factionnaire qui gardait la porte était désarmé et la porte assaillie de coups violens. Parmi les mutins Emile Ollivier reconnaît une troupe parfaitement ivre d’ouvriers parisiens arrivés récemment soi-disant pour s’enrôler dans l’armée italienne et que, dupe de leur apparente ferveur pour la cause italienne, le préfet nourrissait à ses frais en attendant qu’ils reçussent leurs passeports. La préfecture n’était gardée que par le concierge ; éperdu, tout en larmes, le pauvre homme s’était caché au fond de sa loge. Emile Ollivier était en réalité seul. Mais tant de fois déjà il avait triomphé de semblables périls en les bravant qu’il résolut de payer d’audace cette fois encore. Il descend, traverse la cour, va lui-même ouvrir la porte. Un tourbillon d’hommes s’élança, comme un flot, devant lequel la digue vient de se rompre. Il eut à peine le temps de reculer, pour s’y adosser, jusqu’à la porte de l’appartement intérieur. La cour pleine à déborder, un fort gaillard s’avança et dit : « Le peuple a eu confiance en toi, mais tu ne vaux pas mieux que les autres, tu n’es qu’un traitre ; les ouvriers ne veulent plus travailler que huit heures et tu n’obliges pas les patrons à y consentir. » Cette harangue furibonde écoutée patiemment, Emile Ollivier saisit par le bras le meneur, le repoussa de deux marches au-dessous de lui, et lui dit : « Maintenant, misérable, écoute-moi ! » Aussitôt ce fut une immense clameur qui recommençait plus furieuse chaque fois qu’il ouvrait la bouche : « Empêchons-le de parler ! Empêchons-le de parler ! » Il se croit perdu… L’espace resté un instant vide devant lui se resserrait, la foule le pressait les armes se levaient sur sa tête, lorsque tout à coup un homme en blouse brandissant une hache, se fraye un passage parmi les furieux en criant : « Laissez-moi passer ! » On pensa qu’il venait achever la victime et les rangs s’ouvrirent. Mais l’homme arrivé près d’Emile Ollivier, au lieu de laisser retomber la hache sur sa tête, se retourne, se campe devant lui, et crie : « Vous me tuerez avant de le toucher ! » Cette intervention imprévue déconcerte les assaillans. Emile Ollivier aussitôt écarte son défenseur et s’écrie : « Vous ne m’arracherez aucune concession par vos menaces ; je ne laisserai pas avilir entre mes mains l’autorité dont je suis le dépositaire. » Ces paroles, l’acte de l’homme du peuple, l’attitude résolue d’Emile Ollivier dégrisèrent les Parisiens. Ils se rappelèrent que ce jeune homme ne