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et plusieurs fois par page, ses carnets de vol portent cette petite phrase qui semble bondir du papier comme un dogue qui montre les dents : J’attaque… J’attaque… J’attaque… De loin en loin apparait, presque honteux et vergogneux, un : Je suis attaqué. Plus de vingt victoires sur la Somme sont marquées à son actif et il y faudrait ajouter, comme à Dorme, celles qui ont été remportées trop loin pour être confirmées. Le 13 septembre 1916, et pour le premier mois seulement de la bataille de la Somme, l’escadrille des Cigognes, capitaine Brocard, est citée à l’ordre de l’armée : « A fait preuve d’un allant et d’un esprit de dévouement hors de pair, dans les opérations de Verdun et de la Somme, livrant du 19 mars au 19 août 1916, 338 combats, abattant 38 avions, 3 drachen et obligeant 36 autres avions fortement atteints à atterrir. » Le capitaine Brocard dédie cet ordre du jour au lieutenant Guynemer en inscrivant au-dessous : « Au lieutenant Guynemer, mon plus vieux pilote et ma plus éclatante Cigogne. Reconnaissant souvenir et vives amitiés. » Et tous les pilotes de l’escadrille, à tour de rôle, viennent signer. Ce qu’il a fait dans les airs, ses compagnons de chasse, souvent, l’ont vu. Mais il faut redescendre. Et Guynemer atterrit.

Dans quel état ! Même vainqueur, son visage n’est pas apaisé. Il ne le sera jamais. Il n’a jamais son compte. Jamais il n’a livré assez de combats, jamais incendié ou détruit assez d’adversaires. Il est encore sous l’action de sa dépense nerveuse, et comme électrisé par le fluide qui continue de passer en lui. Cependant son appareil porte des traces de la lutte : là dans l’aile, ici dans le fuselage et voyez le gouvernail de profondeur : une, deux, trois, quatre balles. Mais lui-même a été effleuré. Sa combinaison est éraflée, l’extrémité de son gant est déchirée. Par quel miracle est-il là ? Il vient de sauter dans la mort comme dans un cerceau.

Sa méthode est d’une impétuosité, d’une témérité folles. Elle n’est à recommander à personne. La force ou le nombre de l’adversaire, loin de le rebuter, l’attirent. Il monte à de vertigineuses hauteurs, il se met dans le soleil, et il guette. Il ne recourt pas, dans l’attaque, à l’acrobatie aérienne dont il connaît pourtant tous les tours. Il bourre au plus court : c’est, en escrime, le coup droit. Sans chercher à se maintenir dans les angles morts de l’adversaire, il tombe sur lui comme un