Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/578

Cette page a été validée par deux contributeurs.

des avions couplés comme des chiens de chasse. Sans doute les méthodes ont, depuis lors, évolué. L’avenir est aux combats d’escadrilles ou d’appareils groupés. Mais le monoplace est, alors, le roi des airs. Il suffit d’un seul pour que les avions ennemis de réglage et de courte reconnaissance hésitent à passer les lignes, pour que les patrouilles de barrage de deux ou même de quatre biplaces, malgré leur avantage de tir, tournent court et se débandent. Les monoplaces allemands ne sortent qu’en troupe : à deux contre un, ils refusent le combat. Et le monoplace français est contraint à la solitude, car s’il marche en patrouille, cette patrouille fait le vide et ne trouve personne à assaillir. Tandis que, libre de manœuvrer, il peut ruser, se dissimuler dans la lumière ou s’envelopper de nuée, profiter des champs morts visuels de l’adversaire, exécuter les attaques foudroyantes qui sont impossibles au nombre. Nos aviateurs ne parlent jamais de la Somme sans un sourire de satisfaction : ils en ont rapporté de magnifiques souvenirs guerriers. Puis l’ennemi disciplina ses patrouilles de biplaces ou de monoplaces, les dressa à la résistance contre les attaques isolées, leur enseigna l’offensive contre le solitaire, aventuré hors de ses lignes. Il fallut nous-mêmes changer de tactique, recourir à la formation groupée. Mais les fortes individualités de nos chasseurs se sont révélées ou développées au cours de cette bataille de la Somme.

Le personnel de notre aviation est d’ailleurs, à cette date, incomparable. En citant les plus illustres, on craint presque de faire tort à leurs compagnons moins favorisés de la chance ou dont les exploits sont moins éclatans, mais non moins utiles. Il semblait que la nouvelle arme, recrutée un peu partout, dans la cavalerie, l’artillerie, l’infanterie, ne parviendrait que difficilement à fusionner des élémens aussi disparates. Mais la vie commune, les dangers partagés, la parité des goûts, la passion du même but à atteindre, un encadrement recruté sur place et pour ainsi dire imposé par les résultats, créaient une atmosphère de camaraderie et d’heureuse émulation. Un grand romancier voyait l’origine de nos amitiés « dans ces heures de départ pour la vie où l’on s’élance en pensée vers l’avenir avec un camarade d’idéal, avec un frère qu’on s’est choisi[1]. »

  1. Paul Bourget, Une idylle tragique.