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nommer le gosse chevalier de la Légion d’honneur. Quand il fut proposé pour sergent, son âge avait été objecté. On l’estimait bien jeune. « Cependant, remarquait-il en colère, pour encaisser les obus, je crois que je ne le suis pas. » Cette fois, une autre objection est soulevée : — S’il reçoit la croix pour cette victoire, que lui donnera-t-on pour les suivantes ? — Le fier petit Roland s’insurge, se révolte, se dresse comme un coq sur ses ergots. Il ne s’aperçoit pas que déjà personne ne doute plus de son destin. Il l’aura, sa croix, il l’aura, et il ne l’attendra pas longtemps. Il saura bien l’arracher.

Six jours plus tard, le 14 décembre, avec son camarade, le grave et calme Buquet, il attaque deux fokker, dont l’un va s’écraser sur le sol, tandis que l’autre lui endommage son appareil. Une lettre à son père décrit le combat à sa manière qui est prompte et directe, sans un mot de surcharge : « Combat avec deux fokker. Le premier, cerné, ayant son passager tué, a piqué sur moi sans me voir. Résultat : 35 balles à bout portant et couic ! Chute vue par 4 autres appareils (3 et 1 font 4 et ça va peut-être m’amener la croix). Ensuite, combat avec le 2e fokker, monoplace tirant dans l’hélice, aussi rapide et maniable que moi. On s’est battu à 10 mètres en tournant à la verticale à qui prendrait l’autre par derrière. Mon ressort était détendu : obligé de tirer avec une main au-dessus de la tête, j’étais handicapé ; j’ai pu lui tirer 21 coups en 10 secondes. À un moment, nous avons manqué nous télescoper, je l’ai sauté, sa tête a dû passer à 50 centimètres de mes roues. Ça l’a dégoûté, il s’est éloigné et m’a laissé partir. Je suis rentré avec une pipe d’admission crevée, un culbuteur arraché : les morceaux avaient fait une quantité de trous dans mon capot et deux encoches dans l’hélice. De plus, celle-ci avait encaissé une balle. Il y en avait encore trois dans une roue, dans le fuselage (en m’entamant un câble de profondeur) et dans le gouvernail. »

Tous ces récits de chasse, durs et nets, respirent une joie sauvage, l’orgueil du triomphe. La vue d’un avion embrasé, d’un ennemi effondré, lui exalte le cœur. Les dépouilles mêmes de ses ennemis lui sont chères, comme les bijoux dus à sa jeune force. Les pattes d’épaule, les décorations de son adversaire tombé à Tilloloy lui ont été remises. Achille devant les trophées d’Hector n’est pas plus arrogant… Ces combats dans le