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profonde. Cette crise, à la prendre au plus court, s’est déclarée le 1er juin dernier, date à laquelle les « Juntes, de défense » des différentes armes notifièrent aux pouvoirs publics leur volonté de les voir en finir avec le favoritisme dans la collation des emplois, récompenses ou avancemens, et demandèrent que l’armée fût mise « en condition d’efficacité militaire. » Les juntes ne s’en tinrent pas là : tout en protestant de leur désir de n’intervenir dans la vie politique qu’en cas de suprême nécessité, elles signifièrent aussi leur résolution d’exiger qu’à l’avenir l’Espagne fût mieux gouvernée. Dès la première manifestation, il n’y avait pas à s’y tromper : c’était la réapparition d’un mal espagnol vieux d’un siècle, le mal des pronunciamientos; seulement, le pronunciamiento classique, historique, avait changé de forme ; de brutal et traîneur de sabre, il est devenu, selon la remarque très fine de l’ancien ministre conservateur D. Joaquin Sanchez de Toca, «moderniste et plumifère. » A Barcelone siégeait en permanence une « Junte centrale de défense de l’infanterie, » dont le président, le colonel Benito Marquez, plus était que le ministre de la Guerre, et souvent en correspondance ou en polémique, avec lui, réduisait à la démission le maréchal Primo de Rivera, frappait d’interdit une douzaine de généraux, bouleversait la hiérarchie et « sabotait » la discipline.

Cependant, cette façon de syndicalisme militaire qui, pendant quelques mois, ne dépassa pas les officiers et les chefs, ne serait peut-être pas allée bien loin, s’il eût trouvé en face de lui une opinion publique, saine et vigoureuse, qui ne se fût pas contentée de s’en amuser comme d’un spectacle. Il n’eût peut-être pas non plus causé beaucoup de ravages dans la sécurité prospère d’un temps calme et d’un milieu stable, à l’abri de toute corruption étrangère. Mais peu à peu, sur ces juntes d’officiers se greffèrent d’autres juntes, plus nombreuses et plus turbulentes, de sous-officiers et de soldats, — c’est encore un fait habituel en Espagne, où toujours les pronunciamientos de généraux Ont engendré les pronunciamientos de sergens, — et ces associations qui se formaient pour régénérer la vie politique ne tardèrent pas à tomber sous la prise et sous la coupe des partis. Tandis que les juntes d’officiers avaient les sympathies, au moins discrètes, de ce qu’on pourrait nommer les droites, des intelligences s’établirent entre les juntes de sous-officiers et les groupes de gauche, les républicains, les socialistes, les réformistes, les régionalistes. « Coup d’État latent, » dit M. Sanchez de Toca; « révolution évolutionniste, » riposte le leader catalan, M.Cambo. Le