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ressaisit. Ici le paysage musical n’est pas, comme tant d’autres, un état d’âme seulement. Il en est deux, et leur rencontre, ou leur conflit, fait sa beauté. Encore une fois, quand un musicien tel que celui de Fortunio et de Mme Chrysanthème n’aurait que surpris au passage un peu de l’âme d’un Alfred de Musset et de celle d’un Pierre Loti, c’est peut-être assez pour qu’il ait bien mérité non seulement de la musique française, mais du génie même de la France.

Et maintenant, nous pouvons parler de Béatrice. Nous la jugerons sans trop de rigueur : elle a de si bons antécédens !

La légende lyrique, — et plus mélodramatique encore, — de M. Robert de Fiers et de Caillavet, d’après Charles Nodier et M. Maurice Maeterlinck, est l’histoire d’un intérim ou d’un extra dont se chargea la Sainte-Vierge dans un couvent de religieuses et dans les circonstances que voici. Nous les rapporterons de notre mieux, dans la mesure, malheureusement imparfaite, où l’obscure diction de mesdames et de messieurs les artistes chantans nous a permis de les connaître.

Le lieu de l’action a été transporté du Jura d’abord, puis de Flandre, en Sicile. C’est plus brillant, plus chaud, et les passions y sont plus vives. Premier acte : le cloître. Cantiques, processions, prières à la Madone protectrice, dont la statue domine un reposoir fleuri. Visite pastorale de Sa Grandeur Mgr l’archevêque de Palerme, célébration par lui de l’office, auquel une des moniales, sœur Béatrice, pour je ne sais quelle peccadille, est privée d’assister. Demeuré seul avec la petite pénitente, Monseigneur l’interroge, et bientôt il en apprend, d’elle et sur elle, un peu plus que la Supérieure et les autres n’en peuvent savoir. Béatrice aima jadis un sien cousin, Lorenzo, dont le souvenir l’occupe et la trouble encore. « Voyons, mon enfant, tâchez de n’y plus penser, et allez en paix. » Hélas ! elle ne tâche pas du tout, la pauvrette, elle ne tâche même pas de tâcher. Or, le bon prélat à peine parti, survient, toujours fidèle aussi, l’amoureux, l’entreprenant Lorenzo. Béatrice lui résiste, mais il a prévu sa résistance et, par deux hommes à lui, il fait ravir la rebelle. Alors, voyant ce rapt, en prévoyant les suites et les pardonnant d’avance, la Madone s’anime, descend de sa niche, et, par un miracle de miséricorde anticipée, elle prend, avec les voiles gisans de Béatrice, sa figure et sa place au1 couvent.

Second acte. La grande vie, la vie mondaine, ou demi-mondaine. Chez Béatrice et Lorenzo, dans leur somptueuse villa près de Palerme, orgie nocturne, selon l’appareil ordinaire des orgies de théâtre ;