Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y eut d’abord ce qu’on peut appeler la paix allemande. Entendez par là celle que nous destinaient les Allemands, s’ils avaient réussi en quelques semaines à surprendre la victoire. Cette paix-là est définitivement écartée, et l’on constate avec raison que la guerre est perdue pour l’Allemagne, la guerre telle qu’elle la rêvait, jetant la Triple Entente aux pieds du César de Berlin.

En face des maux affreux et des fluctuations inévitables d’une lutte aussi gigantesque, en présence de la lenteur désespérante de sa solution, on est tenté d’oublier le résultat immense obtenu par trois ans et demi de deuils et de sanglans sacrifices. On ne mesure plus la profondeur du péril que les victimes prédestinées de l’Allemagne ont côtoyé, auquel elles ont miraculeusement échappé. Dans la terrible partie engagée par Guillaume II, toutes les chances, au début, semblaient être de son côté. Jamais les dés de fer du destin n’ont été jetés d’une main plus sûre de vaincre. S’est-on suffisamment demandé ce qu’eût été la paix allemande, aujourd’hui que le spectre en est conjuré, car on ne combat plus dans nos armées que pour imposer une paix réparatrice et inébranlable ? Il est bon de se rappeler ce que nous réservaient les vainqueurs.

Les grands États auraient survécu sans doute, mais mutilés, dépouillés des parties les plus riches de leur territoire continental, sans parler des colonies, ruinés par la rançon énorme à payer, réduits à la condition d’humbles cliens et d’États secondaires, arrêtés pour un siècle au moins dans leur développement national et dans l’expansion de leurs forces économiques.

Quant aux petites nations, leur sort aurait différé. Celles qui ont osé se dresser, l’épée à la main, contre l’envahisseur auraient été punies de mort. Un document, écrit pour servir d’instruction aux hommes de Berlin, le testament politique du général baron von Bissing, ne laisse planer aucun doute sur la destinée préparée à la Belgique. Le vieux reitre, placé à la tête de l’administration du pays occupé, avait pour mission de duper les malheureux Belges, sous couleur de les protéger contre les rigueurs des gouverneurs militaires, en réalité de nouer des intelligences parmi eux et de réussir à les diviser. Que conseille-t-il après deux années d’intrigues et de machinations ? L’annexion sur la base du droit de conquête, la dictature prolongée, appuyée sur la force armée, seul régime