Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/448

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

triomphe final de la jeunesse, de la musique et de l’amour. Le Lieutenant Conrad[1]est le résumé bref d’une destinée tragique : petit drame naturaliste, brutal et violent, qui met aux prises, dans une rixe de cabaret, de rudes natures de paysans, et amène en quelques heures la catastrophe. Les autres nouvelles : Friedli l’Entêté et les Ennemis des petites filles[2]ont pour héros des enfans, — de vrais enfans, turbulens, joyeux, égoïstes, étourdis et parfois rêveurs, — ou des paysans de sens droit et de tête chaude, avec les délicatesses instinctives et l’orgueilleuse susceptibilité des montagnards. Un peu de la bonhomie cordiale de Gottfried Keller a passé dans certains de ces récits, avec son art du paysage et de la lumière[3]. Spitteler prononce, à propos de Friedli, le mot de « réalisme russe. » Et sans doute, les histoires villageoises de Tolstoï, de Gogol ou de Dostoïevski, ont pu influer sur son talent. Mais si estimables, si charmantes que soient plusieurs de ces œuvrettes, elles ne sont dans l’œuvre de Spitteler qu’un épisode et ne lui assureraient qu’une place honorable parmi les conteurs provinciaux de son pays. L’essentiel est ailleurs, dans le Prométhée, dans les Ballades, dans le Printemps olympien. Spitteler ajouterait : dans l’Héraklès qui eût réalisé la grande « idylle héroïque » esquissée par Schiller[4]. Cet Héraklès, qui est un Prométhée transfiguré, nous le verrons apparaître à la fin du Printemps olympien. Avant toutefois d’en venir à cette œuvre capitale, il faut dire un mot du roman d’Imago où Spitteler a tant mis de lui-même, Imago qui relie, par d’audacieuses variations enharmoniques, le Prométhée amer et tragique au radieux Printemps olympien.


G. BIANQUIS.

  1. Gustav. Ein Idyll, 1892. Conrad der Leutnant, 1898.
  2. Fredli der Kolderi, 1891. Die Maedchenfeinde, 1903.
  3. Le village de Gustav ; le voyage des Maedchenfeinde.
  4. « Quand je tâche de me représenter ma personnalité de poète, je ne me considère pas en première ligne comme l’auteur de Prométhée ou du Printemps olympien, mais bien comme l’auteur d’Héraklès. » (Spitteler, cité par Meissner.)