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De plus en plus, la teinte de la poésie de Spitteler s’éclaircit et s’avive. De plus en plus, il s’accoutume à noter de préférence les instans lumineux, les joies ingénues. Il a dépassé la solitude tragique de Prométhée et l’amertume des Ballades. Il est vraiment ce poète dont il parle, et qui possède « deux mondes d’amour en trop » qu’il répand en sonorités de cloches sur tous les cœurs meurtris et solitaires. S’il connaît encore le doute et le découragement, il en sait aussi le remède. « Que fait le feu dans la détresse ? Il flamboie. Que fait l’arbre qu’on oublie ? Il fleurit… Lave tes yeux, tais-toi, reste bon. » La bonté, l’affection humaine, telle est la consolation nouvelle que Spitteler, aux jours de sa vieillesse, ajoute à la beauté qu’il a tant célébrée : « La vérité me crie à tue-tête qu’il y a de la tendresse dans l’univers, que l’humble paradis de la femme est riche en miracles, et que l’amour, contre toute attente, fleurit et vient à nous du fond des plus lointains jardins. »


L’œuvre en prose des mêmes années, si l’on en excepte Imago, vaut par des qualités analogues, très différentes de celles du Prométhée. Récits enfantins, contes symboliques, nouvelles villageoises, sont autant de fragmens d’un vaste cycle de récits que Spitteler a projeté et pour une large part rédigé[1]. La plupart de ces nouvelles sont condamnées à ne jamais voir le jour, un petit nombre ont été publiées en volumes, trois ou quatre dans des revues ou des journaux obscurs. Inutile de se lamenter sur leur perte, dit Spitteler, songeant au désastre de son Prométhée : « Quand on a perdu ses enfans, on ne pleure pas ses petits lapins. » Les quelques nouvelles qui nous restent sont d’une extrême variété ; variété voulue : Spitteler déclare avoir tenté « d’échantillonner les principaux genres du récit en prose, » afin de donner une preuve élégante de cette idée favorite que les meilleurs écrivains réalistes sont les poêles idéalistes, alors que les purs réalistes sont impuissans dans le domaine de la haute poésie[2]. Gustav est une idylle villageoise toute printanière, tout ingénue, d’une si lumineuse atmosphère que tous les motifs mélancoliques y sont fondus et réconciliés dans le

  1. Il l’aurait intitulé Heimlinger Geschichten (Récits du terroir.)
  2. Spitteler cite comme exemples Flaubert qui écrit Madame Bovary, Schiller qui écrit Cabale und Liebe.