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faites, de gestes héroïques et d’aventures d’amour, de catastrophes où la destinée humaine se brise contre la force des élémens ou de la société, mais se brise orgueilleusement, en beauté. L’âme s’exalte dans la fragilité de la chair, la volonté fête, jusque dans le désastre, de graves et mélancoliques triomphes.


Sur une mélodie très différente, les Papillons (1889) et les Chants de Cloches (1906), ne cherchent plus à noter, du drame de l’existence, que les brillans reflets, pareils aux ailes des papillons, que les sonorités profondes, émouvantes comme un son de cloche. La poésie de Spitteler, qui a un moment touché terre, remonte dans son élément favori : l’air, l’éther. « Toute mon âme s’envole dans mon regard ; mon guide est la lumière ; la source de mes chants, c’est l’Ether haut et clair[1]. » Mais cette fois, au lieu de poursuivre ses visions « extramondiales, » le poète n’est plus séduit que par les vibrations lumineuses ou sonores qui flottent, impalpables et réelles, dans l’atmosphère des jours d’été. Les Papillons n’ont d’autre ambition que d’être « du lyrisme visuel (Augenlyrik), un hymne de joie à la lumière et aux couleurs[2]. » Telle de ces pièces est toute légère, capricieuse comme un vol de lucioles, comme l’essaim de phalènes pourpre qui environnent la bien-aimée d’un nimbe vivant, comme les beaux papillons dorés posés sur les calices blancs du prunier dont ils semblent la palpitation heureuse. Les papillons indigènes, que Spitteler nomme et décrit exactement, se mêlent à la vie humaine et y ajoutent leur vive touche colorée et le mystère délicat de leur frêle existence. Tous les gestes de l’enfance, toutes les heures de l’amour empruntent à cette-présence ailée une grâce nouvelle, une nuance d’émotion plus fine. Voltigeant autour du clocher, le vulcain, vêtu de velours violet, coupé d’un ruban bleu en sautoir, semble unir d’un fil lumineux toutes les beautés éparses d’un jour d’été. Posé sur la fenêtre à l’instant du premier baiser, le paon de jour rappelle aux amoureux que « le bonheur et l’amour humains sont vifs, mais durent peu. » Et plus profondément encore, la vie des papillons est

  1. Paroles d’Apollon (Olympischer Frühling) que Spitteler s’applique à lui- même dans ses Souvenirs (p. 136).
  2. Préface des Schmetterlinge.