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héroïques. Sans doute, le pessimisme demeure ; l’univers n’est qu’un machinisme cruel, un « bureau de poste fantôme » où télégraphes et téléphones, timbres et sonneries, bourdonnent et halettent sans répit ; si parfois un appel résonne, mystérieux : « Le maître va venir, » toutes les machines font halte ; mais au douzième coup de minuit, une voix stridente gouaille : « Le maître ? à quoi bon l’appeler ? Le maître est malade ! » Et tout reprend sa marche monotone que ne traverse jamais un éclair de raison ou de bonté humaine.

Mais dans ce monde triste surgissent les consolations de la beauté : héroïsme actif de l’homme, beauté voluptueuse de la femme, splendeur multiple de la nature. Il existe de bienveillans hasards, des heures fortunées qui prodiguent d’un coup « les félicités tenues en réserve depuis les siècles des siècles. » Surtout il y a, au fond de nous-mêmes, le courage, l’énergie, la grâce et l’amour. De là ces visions fascinantes de l’humanité noble qui sait vivre et qui sait mourir, qui sait se donner ou se reprendre souverainement, sans compter. L’âme inflexible de Prométhée revit dans tous ces héros : Thésée, au jour de ses noces, quitte sa jeune épouse pour aller au secours du fils d’Héraklès opprimé ; Cyrus, vaincu, prisonnier, mais dissimulé dans un groupe de seigneurs perses, se trahit au geste de clémence que lui seul est capable de faire en faveur d’un captif qui l’a insulté ; car « jamais un Roi ne saurait passer pour un sujet : on nous reconnaît, nous autres, au geste clément qui fait grâce. » Qu’ils soient puissans ou qu’ils soient humbles, dieux, rois, héros, chevaliers, ou pages, ou pauvres bateliers, ou lansquenets ambitieux, ils ont en commun la flamme intérieure, le goût du risque, la volonté de conquérir leur rêve ou de mourir en prodiguant une grande âme. Leur énergie est allègre et n’est point solennelle[1], elle est conforme toujours à la définition que donne Spitteler de la « grandeur européenne : » « L’intelligence qui plaisante et la grandeur. qui sourit[2]. »

Toutes les ballades, dont les couleurs sont empruntées à la légende héroïque et divine de bien des pays : Grèce, Judée, Perse, Arabie, Espagne, Serbie, Suisse, Allemagne, sont ainsi

  1. Ein feierlicher Kerl ist niemals gross (Un gaillard solennel n’est jamais grand).
  2. Verstand, der scherzt, und Grœsse, welche laechelt.