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et l’origine du mal, Spitteler revient à ce problème central de la gnose et de la philosophie alexandrine, qui exerce sur lui une telle fascination. Une seconde série, symétrique de la première, devait traiter le second problème corrélatif du premier : la fin du monde, l’abolition de l’existence individuelle et finie, de la souffrance et de la mort. Après le Paradis Perdu, le Paradis reconquis ; mais ce n’est pas dans un esprit de puritanisme miltonien que Spitteler traite ces hauts problèmes spéculatifs. L’univers, pour lui, n’est point l’œuvre de Dieu, mais celle de Satan peut-être[1], ou d’un ouvrier maladroit qui n’a rien su comprendre aux intentions divines[2]. C’est une combinaison de chiffres maléfiques d’où ne peut sortir que de la douleur, du mal et du sang[3]. C’est l’exil cruel où vivent les âmes nobles, dans la basse promiscuité des meurtriers et des larrons[4]. C’est le « tombeau de sable » où gémit la vie supérieure captive, loin de cette céleste patrie qu’elle a quittée en un jour d’illusion et dont elle garde, par le rêve, par l’amour, par les intuitions de l’art et de la poésie, un souvenir confus[5]. Çà et là subsistent des îlots de douceur et de joie, des lueurs de beauté ou d’héroïsme, les réminiscences d’un âge d’or perdu et qu’un miracle seul saurait restituer. Le mythe des Algébristes, celui de Kosmoxera et celui des Plans de l’Univers ne laissent entrevoir aucune rédemption possible, si ce n’est le retour au néant primitif. Les autres mythes, plus optimistes, font espérer le miracle qui mettrait fin au règne de la matière brute et instaurerait enfin la royauté de l’âme, l’harmonie intégrale entre la matière, pénétrée d’esprit, et l’esprit, nourri de réalité substantielle, grâce au médium de l’art qui emprunte ses formes à la matière, son rythme à l’esprit[6].

Tel est ce livre, assez schopenhauérien d’inspiration, le plus sombre que Spitteler ait écrit, et le plus abstrus, malgré quantité de charmans détails, d’inventions gracieuses, pittoresques ou poétiques. Poèmes tout métaphysiques, « extramondiaux, » dont l’action nous transporte volontiers hors du temps et de l’espace, dans de vagues paysages allégoriques, sur les remparts de la Jérusalem céleste où se promène Adonaï, le Seigneur, suivi de sa chienne blanche Amouna, ou dans l’aréopage

  1. Le Globe terrestre.
  2. Les Plans de l’Univers.
  3. Les Algébristes.
  4. Lucilia.
  5. Le Fils Prodigue.
  6. Le Fils Prodigue, Lucilia, Le Globe terrestre, Le Prophète et la Sibylle.