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ex-théologien : souvenirs de mythes platoniciens et néo-platoniciens sur la création du monde, souvenirs des doctrines essentielles de la gnose chrétienne primitive sur les origines du mal, la chute, la rédemption. Aux trois univers des Gnostiques correspondent ici trois régions géographiques : le royaume de Béhémoth, la plaine des hommes et la montagne de Prométhée, c’est-à-dire trois zones de la vie morale où prévalent aussi trois lois morales différentes : matérialisme grossier, croyance grégaire, initiative libre du génie[1]. Au-dessus des hommes, un Créateur, démiurge maladroit et coupable, analogue à celui des gnostiques ; auprès de lui, son ministre, l’Ange semblable à l’Archôn des Gnostiques. Des mythes comme celui de Logos et de Sophia, de l’Ange et de Doxa, d’Adam et d’Atlas attestent une connaissance exacte de tout ce mysticisme hérétique, mi-chrétien, mi-platonicien, mêlé de doctrines orientales, mouture trouble et puissante d’où s’est dégagée peu à peu la théologie chrétienne orthodoxe. On peut aller plus loin et dire que le procédé favori de Spitteler, celui de Prométhée et du Printemps olympien, est une manière de gnose moderne : prendre ainsi à toutes les religions et à toutes les mythologies des figures ou des mythes que l’on combine dans des ensembles nouveaux, auxquels on prête un sens qui parfois est le contraire même de leur sens primitif, donner pour fille au Dieu hébreu, la déesse Pandore, amie et bienfaitrice des hommes ; mettre aux prises Prométhée et un ange, Epiméthée et Béhémoth ; transformer la mystérieuse Màyà des Brahmanes en une fillette gracieuse et diligente qui, du matin au soir, remplit la maison de chansons : ce mélange d’extrême liberté et de profond mysticisme est commun aux théologiens alexandrins et à Spitteler. Il est favorable, pense notre poète, à la poésie mythique et symbolique : à l’époque de transition où se décomposent les croyances, il appartient aux poètes de retenir une dernière fois les brillantes figures divines qui s’effacent ; leurs noms, qui n’éveillent plus l’adoration, exercent encore une magie sur les cœurs ; un parfum vague, une tonalité d’émotion affaiblie, un rayon pâli flottent encore autour des dieux morts ; et leurs traits légendaires et familiers sont plus capables que tout autre symbole d’exprimer les pensées et

  1. Monde hylique, monde psychique et monde pneumatique de la Gnose.