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pour tomber sur le flanc de l’armée d’invasion engagée dans la trouée de l’Oise. Lille et Maubeuge restaient les deux musoirs de la digue qu’on avait laissé tomber ; telles quelles, ces deux places fortes constituaient une redoutable menace, de nature à impressionner l’ennemi, mais à cette condition de se soutenir l’une par l’autre, car, l’une tombant, l’autre défaillait, et Lille fut déclassée et ouverte ! Pourtant le bons sens et le seul instinct dénonçaient le péril. En 1904, un Père jésuite, qui n’était certes pas stratège, le signalait avec force : « Relever avec luxe, disait-il, la frontière de l’Est et laisser tomber la frontière du Nord est une invitation à se faire attaquer de ce côté[1]. »

La frontière de l’Est échappa en partie à cet ostracisme de notre système défensif. Les grands camps retranchés furent améliorés et renforcés. D’ailleurs, les députés de l’Est veillaient, mais les forts des Côtes lorraines et des Hauts de Moselle furent simplement entretenus et armés, sans plus.

Cependant on peut dire que jusqu’en 1905 cette ruine de l’organisation défensive parut compensée par la valeur croissante de notre armée. La France était arrivée en 1898 à un état militaire remarquablement fort. Il importe de le rappeler. La loi de 1889 qui avait réduit le service actif à trois ans, avait eu son plein effet et nous avait donné une armée admirable, homogène, disciplinée, fortement encadrée. Elle révisait et complétait la restauration de nos forces accomplie par les lois de 1872-1873 et 1875. Le souvenir de l’épreuve de 1870 mordait toujours les cœurs des officiers et des vieux soldats qui l’avaient soufferte, et des jeunes hommes qui, enfans, avaient senti passer la défaite et avaient été élevés dans l’âpre espoir de la réparation. A la tête de l’armée étaient des chefs éprouvés, aussi soucieux de leurs responsabilités militaires que de leur devoir civique. La génération à laquelle je suis fier d’appartenir fournissait aux différentes armes ces cadres magnifiques d’où sont sortis les grands chefs d’aujourd’hui, les victorieux de demain.

De plus, cette belle armée venait d’être dotée d’un canon sans rival : le « 75, » qui, après vingt ans d’expérience, reste le maître du champ de bataille.

Je me rappelle comme si c’était hier le regretté général Langlois, celui à qui nous devons le canon à tir rapide, nous

  1. F. Engerand, Correspondant, déjà cité.