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Vers 1855, les patrons invoqués par Cousin, les écrivains de notre grand siècle, subissent en sa compagnie la mauvaise humeur du normalien de la veille. Vis-à-vis de son maître Hatzfeld, par exemple, il s’exprime en toute franchise sur les impressions de lecture que lui fournissent à ce moment nos classiques. Lorsqu’il prend en mains Corneille ou Racine, écrit-il, il ne lui arrive jamais d’oublier son livre et de croire qu’il a près de lui des hommes en danger, saisis de douleurs poignantes, agités de passions vraies ; or, cela lui arrive à chaque instant tout au contraire, lorsque le volume porte les noms de Shakspeare, de Gœthe, de Byron, de Stendhal, de Balzac ou de Musset !…

Dans Corneille, insistera l’auteur de La Fontaine et ses fables, le personnage disparait pour laisser place à une idée abstraite et morte, sans âme ni figure d’homme ! « Tout le monde sait, reprendra-t-il à propos de Saint-Simon, que le défaut de nos poètes classiques est de mettre en scène non des hommes, mais des idées générales. Leurs personnages sont des passions abstraites qui marchent et qui dissertent. Vous diriez des vices et des vertus échappées de l’Éthique d’Aristote, habillés d’une robe grecque ou romaine et occupés à s’analyser ou à se réfuter ! » — Enfin, dans les Philosophes français, on pourra lire en toutes lettres que si Corneille et Racine ont fait d’admirables discours, en revanche, ils n’ont pas créé un seul personnage vivant ! Shakspeare, au contraire, n’a pas fait un seul discours éloquent, mais a doté toutes ses figures du relief de la vie réelle !


II

Un tel paradoxe, survivance du plus fanatique romantisme, ne pouvait être longtemps défendu par un esprit aussi droit, aussi parfaitement sincère avec lui-même. Fruit d’une sombre humeur amplement justifiée par les circonstances, il s’atténuera, puis s’évanouira en même temps que cette humeur. Dans l’essai sur Saint-Simon où nous venons d’en retrouver quelques échos, on rencontre une définition déjà bien autrement exacte de l’esprit classique français. « Sur le devant du théâtre, écrit le jeune commentateur des immortels Mémoires, Bossuet, Boileau,