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trains fleuris et remplis de chansons. Des plus lointaines provinces les fils de France sont accourus. Un élan unanime les a précipités à la frontière assaillie. Et cet élan s’est canalisé dans un ordre parfait Les chants mêmes étaient graves et quasi sacrés. La nation a vécu l’une de ses plus grandes heures et s’en est rendu compte. Elle a refait d’un coup son unité, elle a retrouvé sa jeunesse. Cependant les nouvelles qui peu à peu sont venues ont répandu une angoisse sans nom, — l’angoisse et non le doute. Le gouvernement a quitté Paris pour s’installer à Bordeaux. La capitale est menacée. L’ennemi est entré dans Compiègne. Compiègne n’est plus à nous. La Jeanne d’Arc de la place de l’Hôtel-de-Ville a pour hommes d’armes des casques à pointe. Puis la victoire de la Marne a soulevé le poids qui oppressait toutes les poitrines. À la villa Delphine on a su que Compiègne était délivré. Cependant les trains de troupes vont renforcer les combattans. Et tous ces départs, Georges Guynemer les a vécus ; il les a vécus jusqu’à la souffrance, jusqu’à la révolte, jusqu’à l’horreur de soi-même. Ses camarades, ses amis, sont partis ou demandent à partir. Ses deux cousins germains, les neveux de sa mère, Guy et René de Saint-Quentin, ont été, l’un tué à la bataille de la Marne comme sergent, l’autre, conseiller d’ambassade à Constantinople, revenu en hâte dès la déclaration de guerre pour réclamer ses galons de lieutenant de réserve, deux fois blessé dans la même victoire d’une balle à l’épaule et d’un éclat d’obus à la cuisse. Est-il possible qu’il reste là, seul, quand toute la France s’est levée ?

Dans la Chanson d’Aspremont, qui est une de nos plus entraînantes chansons de geste, Charlemagne, parlant pour l’Italie avec son armée, passe par Laon. Dans le donjon, cinq enfans, dont son neveu Roland, sont enfermés sous la garde de Turpin. L’Empereur, qui les connaît bien, les a mis sous clé de peur qu’ils ne rejoignent ses troupes. Mais quand ils entendent sonner les cors d’ivoire et les chevaux hennir, ils n’y tiennent plus et décident de s’échapper. Ils essaient d’enjôler le portier, mais le portier est insensible, — insensible et incorruptible. Ce fidèle serviteur est aussitôt roué de coups de bâton. On lui prend ses clés, on lui passe sur le corps et voilà nos cinq pages hors de prison. Leur aventure ne fait que commencer. Pour se procurer des chevaux, ils attaquent cinq Bre-