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Georges, résume à merveille le court et admirable destin de Guynemer. Les palmes mêmes n’y sont pas omises :


Fortunale heros ! moriendo in saecula vives.
Eia, agile, o socii, manibus profundite flores,
Lilia per tumulum, violamque rosamque recentem
Spargite ; victrices armis superaddile lauros,
Et tumulo tales mucrone inscribite voces :
Hic jacet hostilis gentis timor et decus omne
          Gallorum, Georgius, conditus ante diem :
Credidit hunc Lachesis juvenem dum cerneret annos,
          Sed palmas numerans credidit esse senem[1].


C’est la paraphrase de la réponse des dieux au jeune Pallas dans Virgile.

Ce Frédéric Ozanam fut pris en pleine force, avant d’avoir atteint sa quarantième année, du mal qui le devait emporter. La vie semblait alors n’être pour lui que lumière et caresse ; il était dans ce moment où tout réussit : les années rudes s’oublient, le chemin montant semble un palier. Il avait à son foyer une compagne parfaite, une fille aimable. Sa réputation grandissait. Il serait un jour prochain de l’Académie ; il connaîtrait, il touchait déjà la fortune et la gloire. Et voici que la mort lui faisait signe. En vérité, elle choisissait mal son heure. Mais quand l’a-t-elle bien choisie au gré des mortels ? Ozanam tenta de l’attendrir. Dans son journal intime, il note son appel auquel il ne s’était point trompé. Et il demande à Dieu un répit. Comme pour fléchir sa pitié, il lui offre une part de sa vie, la plus brillante : il renoncera les honneurs, la gloire, la fortune, il consent à vivre dans l’humilité et l’oubli à la façon de ces pauvres pour qui il a fondé l’œuvre des Conférences de Saint-Vincent de Paul, et qu’il a si souvent visités dans leurs taudis ; mais du moins, qu’il demeure à son foyer, qu’il voie sa fille grandir et qu’il vieillisse quelques années encore auprès

  1. Héros fortuné ! Tu meurs ; mais tu vivras dans les siècles. O vous, ses compagnons d’armes, couvrez son tombeau de fleurs ; répandez-y à pleines mains les lis, les violettes et la rose nouvelle. Élevez-lui un trophée où les lauriers de ses victoires soient entrelacés à ses armes, et sur sa tombe, avec la pointe de votre épée, gravez ces mots : « Ici repose un héros, la terreur de l’ennemi et l’honneur de la France, Georges, qu’une mort prématurée a enlevé à la terre. Si la Parque eût compté ses années, elle l’aurait trouvé presque enfant, mais en comptant ses lauriers, elle a cru frapper un vieillard. » (Journal des Débats, 1er novembre 1917.)