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solides et sûres. La chasse ne l’attirait pas, mais il savait regarder. Il fut tué d’un accident d’atterrissage presque dans le même temps que disparaissait Guynemer. Un de ses compagnons d’escadrille le juge ainsi : — « D’une intelligence remarquable, d’un caractère toujours égal, il avait su s’imposer à ses chefs par son sang-froid, son coup d’œil, la connaissance exacte des services qu’il pouvait rendre. Toutes les fois qu’on lui confiait une mission, on était sûr qu’il revenait l’ayant remplie, quelles que fussent les conditions dans lesquelles il la fallait accomplir. Il avait eu souvent à tenir tête à des avions ennemis mieux armés que lui, et avait même été blessé au cours d’un vol par un éclat d’obus à la cuisse. Il n’en avait pas moins continué à voler et n’était rentré que longtemps après et seulement sa tâche terminée. Sa mort a fait un grand vide dans cette escadrille. Des hommes comme celui-là sont difficiles à remplacer… »

Ainsi le démesuré Guynemer a-t-il eu pour premier ami un camarade qui connaissait exactement ses limites. Il a pu délivrer Jean Krebs d’un excès de probité réaliste, lui verser l’enchantement de ses propres délires, mais Jean Krebs aux ailes figées de ses jeunes ambitions a fourni le moteur. Sans les leçons techniques de Jean Krebs, aurait-il plus tard pu se faire engager au champ d’aviation de Pau et passer avec tant d’aisance son brevet de pilote ? Se serait-il intéressé de si près à l’outillage, aux perfectionnemens de son appareil ? La guerre devait faire de tous deux des aviateurs. Tous deux sont tombés du ciel, l’un en pleine gloire, l’autre presque obscur. Dans leurs causeries à deux, en promenade ou le long des murs de Stanislas, avaient-ils entrevu ce destin ? Jean Krebs, esprit positif, certainement non : il voyait devant lui l’École polytechnique et ne songeait qu’à s’y préparer. Mais Guynemer ? Dans ses notes si précieuses, l’abbé Chesnais nous le montre construisant un petit aéroplane en étoffe dont le moteur était remplacé par un faisceau d’élastique : « À la prochaine, récréation, il monte au dortoir, ouvre la fenêtre, lance son appareil et préside à ses évolutions au-dessus des têtes de ses camarades. » Mais ce ne sont là que jeux de collégien ingénieux. L’excellent prêtre qui fut préfet de division et l’observa en profond psychologue ne reçut jamais confidence de sa vocation. L’aviation, dont les timides essais ne datent que de 1906,