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Relit-il réellement ? Il se laisse entraîner sur les mêmes voies. Il rêve, son regard va plus loin.

Quelqu’un, pourtant, va exercer sur cette nature impressionnable, mobile, presque trop ardente, une influence qui déterminera sa direction. Son père lui avait recommandé de choisir avec soin ses amis, de ne pas se livrer au premier venu. Ne pas se livrer au premier venu, il en était bien incapable et plutôt ne se serait-il livré à personne. Nos amis, les choisissons-nous au début de la vie ? Nous ne savons qu’ils sont nos amis que parce que nous les avons trouvés dans notre existence à l’heure voulue. Ils étaient là, sans quoi nous ne les eussions pas cherchés. Une parité de goûts, de sensibilité, d’ambitions nous rapproche d’eux et nous nous apercevons qu’ils ne sont pas simplement des camarades quand ils sont dès longtemps déjà nos amis. Ainsi Jean Krebs devint-il le compagnon habituel de Georges Guynemer. Le père de Jean Krebs est ce colonel Krebs dont le nom reste attaché aux premiers progrès de l’aérostation et de l’aviation. Il était alors directeur des usines Panhard ; ses deux fils faisaient leurs études au collège Stanislas. Joan, l’aîné, est camarade de classe de Georges Guynemer. C’est un silencieux, un concentré, un réfléchi : le visage calme, la parole posée, jamais un mot plus haut que l’autre, un éloignement de tout ce qui est bruyant et agité. Georges bouscule son isolement et s’y installe. L’autre le supporte, sourit, accepte, se lie. Celui des deux qui exerce sur l’autre une autorité, celui qui a le prestige, l’auréole, pour le moment, c’est Jean Krebs. Songez donc : il sait ce que c’est qu’un automobile. Il emmène un dimanche son ami Georges à Ivry et il lui apprend à tenir un volant. Il lui passe toutes ses connaissances techniques. Georges, cependant, se lance à toute allure dans cette voie nouvelle. Il connaît bientôt toutes les marques, tous les genres de moteurs. Pendant les promenades scolaires, si la colonne des élèves monte ou descend les Champs-Elysées, il désigne au passage les voitures : — Ça c’est une Lorraine. Voilà une Panhard. Celle-ci a tant de chevaux, etc. Malheur à qui le contredirait ! Il toise l’insolent et l’écrase d’un mot.

« Les visites d’usines organisées dans l’après-midi du jeudi par le collège le comblent de joie. À l’avance, il choisit ses compagnons auxquels il fait abandonner une partie de tennis. Krebs était de ce nombre. La visite à l’usine de Puteaux, celle