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pour changer de paroisse. La tradition flamande fait dès lors place à la tradition bretonne qui la continue et que des actes précisent. Un Olivier Guinemer dorme quittance, en 1306, aux exécuteurs testamentaires du duc Jean II de Bretagne. Il tenait un fief sur Saint-Sauveur de Dinan, « dans lequel le duc avait mis mansonniers et estajiers contre raison. » Les exécuteurs testamentaires durent payer, pour libérer la succession, de grosses sommes « en réparation, restitution et dédommagens » et ils eurent soin « de retirer des acquits de tous ceux auxquels ils distribuèrent de l’argent en vertu de leur commission[1]. » Le traité de Guérande (11 avril 1365), qui termine la guerre de succession de Bretagne et donne le duché à Jean de Montfort, mais sous la suzeraineté du roi de France, porte la signature de trente chevaliers bretons parmi lequels un Geoffroy Guinemer. Un Mathelin Guinemer, écuyer, est mentionné dans un acte reçu à Bourges en 1418 ; en 1464, un Yvon Guynemer, homme d’armes, est admis à la grande paye, et celui-là orthographie déjà son nom avec un y.

De cette petite noblesse provinciale qui guerroie obscurément ou cultive son domaine, la trace se suit assez malaisément. Dans un livre qui glorifie les œuvres serviles de l’ancienne société française, Gentilshommes campagnards, M. Pierre de Vaissière a montré comment cette race de propriétaires ruraux était demeurée en contact étroit avec le fond agricole français, conseillant et défendant le paysan, défrichant et entretenant la terre, maintenant la famille sur le sol. Les mémoires du fameux Rétif de la Bretonne illustreraient ce ferme traité d’histoire privée : Rétif nous peint sous les couleurs les plus pittoresques les mœurs patriarcales et autoritaires de son grand-père retenant d’office au village le descendant qui veut se fixer à Paris. Déjà Paris exerçait son attrait, déracinait la jeunesse. La cour de Versailles avait déjà porté atteinte aux autorités sociales arrachées au terroir. Quand la Révolution éclate, il y a encore des Guynemer en Bretagne, mais l’arrière-grand-père de notre héros, Bernard, vit à Paris dans le dénuement, donnant des leçons de droit. Sous l’Empire, il sera nommé président du Tribunal de Mayence, Mayence étant alors le

  1. Histoire de Bretagne, par dom Lobineau, 1707 : tome I, p. 293. Recherches sur la chevalerie du duché de Bretagne, par A. de Couffon de Kerdellech, t. II. Nantes, Vincent Forest et Émile Grunaud, imprimeurs-éditeurs.