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« Les jours des mortels sont comptés, et le temps que dure leur vie est court, irréparable, mais étendre sa renommée par ses hauts faits, voilà l’œuvre de la vertu…[1]. »

Famam extendere factis : aucun des personnages fabuleux de l’antiquité ne s’est plus hâté que Guynemer de multiplier les faits qui porteraient plus loin sa gloire. Mais l’énumération de ses exploits ne donnerait pas la clé de sa vie, n’expliquerait ni sa force secrète, ni l’attrait qu’il exerçait. « Ce ne sont pas toujours les actions les plus éclatantes qui montrent le mieux les vertus ou les vices des hommes. Une chose légère, le moindre mot, un badinage, mettent souvent mieux dans son jour un caractère que des combats sanglans, des batailles rangées et des prises de villes. Aussi, comme les peintres dans leurs portraits cherchent à saisir les traits du visage et le regard, choses où éclate sensiblement le naturel de la personne, sans se soucier des autres parties du corps, de même nous doit-on concéder de concentrer principalement notre étude sur les signes distinctifs de l’âme…[2]. »

Je rechercherai donc spécialement ces signes distinctifs de l’âme. La famille de Guynemer a bien voulu me confier ses lettres, ses carnets de vol et mille récits précieux de son enfance, de son adolescence, de ses victoires. Je l’ai vu lui-même dans les camps, pareil au Cid Campeador, qui faisait accourir au-dessus de ses tentes, ailes au vent, l’essaim des victoires chantantes. J’ai eu cette bonne fortune de le voir abattu dans les airs un avion ennemi qui tomba en flammes sur la rive de la Vesle. Je l’ai rencontré chez son père : Compiègne était son Bivar. Presque au lendemain de sa disparition, j’ai passé deux veillées funèbres avec ses compagnons d’armes à ne parler que de lui : veillées mouvementées, où nous devions changer d’asile, car Dunkerque et le champ d’aviation étaient bombardés au clair de lune. Ainsi ai-je pu rassembler autour de sa mémoire bien des signes épars qui, peut-être, contribueront à lui composer un halo de clarté. Mais je crains, — et m’en excuse, — de décevoir les professionnels de l’aviation qui ne trouveront ici ni détails techniques, ni cette compétence où le spécialiste se reconnaît. Il appartiendra à l’un d’eux, — et, je le souhaite, à l’un de ses rivaux de gloire, — de nous rendre

  1. Énéide, livre X (édition Garnier).
  2. Plutarque, Vie d’Alexandre.