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qu’ils sont au Caire et qu’ils sont à Bagdad…Puisqu’ils sont maintenant aussi à Jérusalem, la ligne montante, Damas, Homs et Alep, pourrait les tenter.

Il n’en demeure pas moins certain que, bien que la valeur stratégique n’en soit pas nulle, l’importance morale de la prise de Jérusalem l’emporte de beaucoup. D’autres exploits parlent à l’esprit ou à l’imagination ; celui-ci pénètre bien plus avant et parle aux âmes. Chez tous les peuples, non seulement de toutes les confessions chrétiennes, mais de toutes les religions, et dans l’univers tout entier, ceux qui n’adorent pas Jésus comme un Dieu le vénèrent du moins comme un sage ou comme un prophète : il n’en est pas un qui ne tienne, s’il s’élève au-dessus de la bête, les bords du Jourdain et de la Mer-Morte pour un des lieux privilégiés, un des sanctuaires de l’humanité. Dans le camp de la Mittel-Europa, on n’en sera pas, au fond, moins ému que dans le camp de l’Entente, mais d’une émotion sans joie et sans fierté ; et dans ce camp même, le Turc mahométan, le Bulgare orthodoxe et l’Allemand luthérien ne le seront guère moins que l’Autrichien catholique. Nous, dans le nôtre, nous aurons l’orgueil d’avoir libéré la Ville Sainte qui depuis quatre siècles ininterrompus, quatre siècles exactement, de 1517 à 1917, était sous le joug de l’Ottoman. Nous aurons le droit de constater que cette action s’insère à son rang dans la série des Gesta per Francos, qu’elle est dans le sens de toute notre histoire, et que notre expédition aura été une dernière croisade. Par-delà les Templiers qui de nouveau l’arrachèrent au Soudan d’Egypte, nous rejoignons le royaume franc, Guy de Lusignan et Godefroy de Bouillon. Fidèles en nous-mêmes à nos aïeux, et à notre pensée qui continue leur foi, nous pouvons donc faire sonner les cloches et chanter des Te Deum. Partout, en France, en Angleterre, en Italie, les églises ont retenti de louanges.

Mais l’effet moral de la prise de Jérusalem par les Alliés n’est pas d’ordre exclusivement religieux ; elle peut avoir une longue portée politique. « C’est le coup le mieux réussi qui ait été porté au prestige de l’Empire turc, fait observer le Daily Graphic. Après la déclaration d’indépendance du Chérif de la Mecque, la perte de Jérusalem est pour les Ottomans un avertissement que leur puissance, en tant que race impériale, est sur le point de disparaître. » La Mecque, Bagdad, Jérusalem, cet avertissement est le troisième ; et il n’est pas donné seulement aux Turcs, parce que la Mecque et Bagdad ne sont des villes saintes que pour les Musulmans, tandis que Jérusalem, ville unique, est sainte pour tout ce qui croit et qui prie, suivant n’importe