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chez les défenseurs, la volonté de gagner le temps qui arrêtera l’invasion, achèvera de raffermir les courages et peut-être commencera à rallumer les espérances. D’un mot, la situation continue d’être sérieuse, et même grave : elle n’est plus « catastrophique. »

Et voici que, dans les ténèbres de l’heure, une lumière s’est levée en Orient. L’armée du général Allenby est entrée à Jérusalem. Un des plus grands événemens de ce temps et de bien des temps, si on le considère sous l’aspect de l’éternité, s’est accompli là au plus petit dommage, sans dommage aucun des hommes et des choses. Même la mosquée d’Omar, bâtie, selon la tradition, sur l’emplacement du Temple, n’a pas été touchée en une de ses pierres ; la conscience même des Musulmans a été tenue pour sacrée dans cette opération profondément empreinte, par la force des siècles, du caractère chrétien. Lisons, comme il faut la lire, dans le télégramme du général, cette phrase de cinq ou six mots : « Tout le cortège était à pied. » Une telle entrée, qui s’est humblement passée de palmes, au souvenir involontaire d’une autre entrée, il y a deux mille ans, n’est-elle pas le plus discret des hommages, où s’expriment à la fois la culture la plus fine et le tact le plus délicat ? Mais ne retenons pour le moment que le fait, dégagé des circonstances qui pourtant l’embellissent encore à nos yeux. Peut-être s’est-on un peu pressé, tant on était frappé de son immense importance morale, de dire qu’il n’avait qu’une faible importance militaire et politique. Ce sont surtout les Allemands qui en ont ainsi décidé, lorsqu’ils ont vu que leurs chers amis les Ottomans allaient perdre, Jérusalem, et qui l’ont répété plus haut lorsque les Turcs l’eurent en effet perdue. Outre que la possession de la Palestine et de ses abords méridionaux couvre de loin le canal de Suez et l’Egypte, la marche de l’armée anglo-franco-italienne se développe, — le Carriere della Sera l’a justement remarqué, — le long de la ligne qui conduit de Port-Saïd, par Damas et Alep, jusqu’à la grande voie ferrée de Bagdad, qui est une des pommes de discorde de la guerre présente. Et pas très loin de Jérusalem, aux confins de la Palestine, passe la voie sacrée musulmane, par laquelle Damas est uni à la Mecque. Là, dans cette contrée, est le pont entre les continens et les empires, entre l’Afrique et l’Asie, qu’ont toujours rêvé de jeter les conquérans de toute taille, un Alexandre, un Héraclius, un Napoléon. Sans vouloir supposer que les Anglais, gens positifs, reprennent à leur compte ce projet grandiose et vraisemblablement démesuré, en n’embrassant que les contingences, les possibilités prochaines, il convient de ne pas oublier