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Et la Princesse épousera son jardinier… Elle l’épousera parce qu’il s’est battu pour elle ; et aussi parce qu’elle l’aime ; et elle l’aime parce qu’il est un beau gars. On se croirait dans un roman de George Sand…Que d’ailleurs la Princesse épouse un ouvrier, si cela lui plaît, et puisque les ouvriers lui plaisent, c’est son affaire. Je voudrais seulement qu’elle ne fût pas trop injuste ou trop oublieuse pour leurs frères des autres classes, qui n’ont certes pas été des derniers à entendre son appel. La guerre en a fait une terrible hécatombe et dans le renoncement ils ont su mettre une sublime allégresse. Je remarque qu’au pays de la Princesse il n’y a pas de bourgeoisie, pas de classe intermédiaire entre le peuple et ceux qui gouvernent. Et cela m’inquiète pour l’avenir, quand je songe à ce qui vient de se passer en Russie…

Donc une allégorie, un peu longue, les meilleures allégories étant les plus courtes, mais charmante, brillante, qui émeut et qui fait penser. L’œuvre est d’un écrivain assurément doué pour le théâtre et qui, plus sûrement encore, est un poète. La langue est de la meilleure qualité : très pure avec de belles images. La versification, souple, variée, avec un choix, de rythmes souvent heureux.

La mise en scène imaginée par M. Gémier est curieuse et elle plaît. J’y vois, pour ma part, bien des inconvéniens. La rampe est supprimée : à sa place des marches qui conduisent de la scène à la salle, et sur ces marches un perpétuel va-et-vient ; des figurans partis du fond de la salle y montent ou en descendent à chaque instant, s’y assoient et même s’y couchent ; la scène est partout et elle n’est nulle part. Sur ce qui jadis s’appelait la scène un autre échafaudage, garni d’autres marches, invite à de nouvelles grimpades : on a les acteurs tantôt au-dessus de soi, tantôt au-dessous, jamais dans la ligne du regard : on voit des pieds, on voit des chevelures, jamais de visages. Mise en scène de Shakespeare — et de music-hall. Cette agitation peut amuser la badauderie ; elle nuit à l’intelligence de l’œuvre, comme elle rend impossible l’art du décorateur.

Mme Simone joue le rôle de la Finette de toute son âme : elle y est très émouvante. M. Gémier, dans le rôle à transformations de Buc, déploie toutes ses ressources d’agilité et de mimique expressive. M. Desfontaines a composé avec art le personnage du maréchal-duc, et M. Jean Worms est un François Miron de belle allure.


RENE DOUMIC.