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quel maître ! — pour ceux du cru ? Comment a-t-il capté la confiance de la Princesse ?… A cette dernière question seulement la réponse est facile et se présente d’elle-même. Exigeant et dur aux petits, on le devine souple et rampant devant les grands. Il est le flatteur qui s’est substitué aux conseillers, l’homme à tout faire qui peu à peu s’est rendu indispensable, type accompli de cette domesticité toute-puissante. Par ailleurs, il y a dans les allures du personnage on ne sait quoi de gênant et d’inquiétant. Il a fait appel à la main-d’œuvre étrangère. Que des rixes viennent à se produire entre les ouvriers du pays et les autres, d’un mot, d’un signe, Buc apaise cette clique étrangère qui aussitôt s’immobilise en une fixité de port d’armes : tout cela est louche, plus que louche.

Or voici venir la Princesse, une princesse de légende sortie d’un conte de Perrault, la charmante Finette telle que l’a peinte Watteau. Jeune, gracieuse, aimable, faite au tour et jolie à ravir, sa bienvenue au jour lui rit dans tous les yeux ! Elle plaît et elle aime à plaire et ne doute pas que tous ceux qui l’entourent n’aient pour premier de tous leurs soucis le souci de lui plaire. Sa bonté, qui s’ajoute à sa grâce, fait qu’elle imagine l’humanité tout entière à la ressemblance de son âme ingénue. De qui et de quoi se méfierait-elle ? Et voilà ce qui la perdra : cette foi naïve dans la bonté universelle ! Filleule de toutes les fées, on a, comme toujours, oublié quelqu’un à son baptême, et la mégère qui n’a pas été conviée se venge à sa manière. Finette aura la grâce, mais insouciante ; l’esprit subtil, mais candide ; la bonté, mais qui se laisse surprendre, mais qui se livre elle-même !

A la voir d’un abord si facile et d’un accueil si complaisant, ceux qui l’aiment d’amour et dont le cœur, depuis qu’il bat, n’a battu que pour elle, s’attristent, se chagrinent et en conçoivent du dépit. C’est le cas de François Miron. Ce fils des Miron, affiné par la culture mais enraciné au sol, devenu artiste mais sans cesser d’être artisan, respire avec peine l’atmosphère de cette cour où flotte un mauvais air :


Un esprit différent de nos vieilles coutumes
Haussait le ton des voix et l’éclat des costumes,
Tous les gens, plus parés, me semblaient plus communs,
Des étrangers en foule, ou trop blonds ou trop bruns
Jargonnaient dans leur langue…


Aussi lui est-il arrivé, à plusieurs reprises, de s’éloigner. Il revenait toujours, ramené par un sentiment plus fort que toutes les rancunes. Il est revenu cette fois encore, averti par un instinct confus