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I

Il serait inexact de prétendre que la campagne qui a mené nos Alliés de Port-Saïd à Jérusalem ait été conduite d’après un plan arrêté une fois pour toutes depuis 1914. On y apercevrait plutôt un certain flottement qui rend parfois difficile d’en retrouver la ligne générale. De 1914 à 1917, l’initiative stratégique a changé de mains. Le commandement turc imposa, d’abord, ses décisions. Turc, — il serait plus exact de dire : allemand, — car si Djemal Pacha, ancien ministre de la Marine auquel on fit fête en France peu avant la guerre, commandait, en 1915, la IVe armée et si aujourd’hui encore c’est son frère Djemal Pacha le Petit qui, officiellement, dirige la lutte contre le roi du Hedjaz, en fait, Berlin ne cessa d’avoir la haute main sur les opérations. Dès 1915, le chef d’état-major était un problématique pacha, von Trommer, et maintenant le général osmanli s’appelle Kres von Kressenstein.

Le 28 octobre 1914, lorsque la Turquie et l’Angleterre étaient encore en paix, la frontière du Sinaï fut violée par des Bédouins à la solde du Sultan. Toutefois, jusqu’en février 1915 il n’y aura pas d’opération sérieuse. Dans l’intervalle, les Anglais, trop peu nombreux, ont évacué toute la péninsule, et déjà, les Arabes poussent jusqu’aux abords du canal. C’est alors que l’état-major ennemi décide d’attaquer aussitôt Suez.

C’est là en effet qu’on peut porter aux Alliés, et surtout à l’Angleterre un coup mortel. Les Alliés sont répartis sur deux mondes : l’Occident, auquel nous pensons toujours, et l’Orient auquel nous prêtons moins et trop peu d’attention. Entre les deux, une seule ligne de communication rapide : le Canal. C’est par là qu’afflueront les corps d’armée de l’Inde et de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et de l’Indo-Chine. C’est par là que viendront les pionniers chinois et qu’affluent le riz des Tropiques, les viandes frigorifiées et les cuirs australiens, le bois des îles de la Sonde, le thé des Indes. S’ils n’avaient pas Suez, les Alliés, à court déjà de bateaux, se verraient forcés de passer par le cap de Bonne-Espérance et de tripler ainsi la longueur du trajet, — ce que ne nous permettraient plus nos disponibilités en navires et en charbon.

Donc le Sultan concentre, en Palestine, la IVe armée[1]sous

  1. Elle comprend les 23e, 25e et 27e divisions (VIIIe corps de Damais, XIIe corps de Mossoul), plus une partie du IVe corps de Smyrne et de la Division du Hedjaz, et environ 15 000 Arabes irréguliers ; le service des transports est dirigé par un ancien brigand albanais, Roshan Bey, — en tout, 45 000 hommes environ.