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IV. — MADAME YOSANO

Des qualités analogues ont passé dans la poésie d’une femme, Mme Yosano, le meilleur poète du Japon d’aujourd’hui, ou, si vous aimez mieux, le plus infortuné des poètes japonais, car, ayant le plus de talent, elle a le plus à souffrir du pauvre instrument primitif que lui ont légué les siècles. Je sais ce qu’on peut dire et ce qu’on a dit de la poésie japonaise. Nos poètes en ont fait, et de supérieure, chaque fois qu’ils ont mis dans un ou deux vers l’évocation d’un paysage ou le sentiment d’une profonde nostalgie. La Fontaine était un poète japonais très remarquable. Les deux vers de Racine, Ariane, ma sœur… sont le triomphe de la poésie japonaise. L’angélus du soir a inspiré à Dante des vers merveilleusement japonais. Mais où Dante, Racine, La Fontaine cessent d’être japonais, c’est quand ils écrivent La Divine Comédie, Phèdre, Le Paysan du Danube. Verlaine aussi est extrêmement japonais : Il pleure sur mon cœur, Comme il pleut sur la ville… Mais qu’il s’arrête là, sous peine de ne plus l’être ! Représentez-vous un grand musicien réduit à pincer d’un instrument monocorde ou un grand poète condamné à ne pas excéder trente et une syllabes. Il faudrait exiler au Japon tous les poètes damnés pour leur intempérance… Je veux bien qu’il y ait une poésie japonaise, et vingt ou trente millions d’improvisateurs japonais. Mais je ne connais pas de vrai poète qui se soit jamais « réalisé » dans le genre du distique. Mme Yosano a tiré de cette forme rudimentaire et pourtant raffinée des accens inconnus aux oreilles japonaises. Ses recueils Les Cheveux dénoués, La Danseuse, L’Éternel Été, abondent en poésies qui pourraient être aussi bien d’une dame du XIIe siècle que d’un général d’aujourd’hui : douceur fugitive d’un instant de la journée, beauté périssable des fleurs du cerisier, mélancolie des lacs d’automne, nuages du soir sur la mer pareils à des iris.

Mais à côté de ces thèmes éternels et légers, on rencontre, ce qui est déjà nouveau, des résurrections rapides de splendeurs passées, comme des Trophées en miniature. Malheureusement, la traduction supprime le rythme, le son, et le charme ensorcelant, parait-il, des caractères. On a posé la glace de Juin près de ï oreiller incrusté de blanc corail, dans la profondeur du