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taines scènes de ce roman, dont j’écoutais la lecture chaque soir pendant une semaine, comme si elles se détachaient d’un souvenir réel. Il me semble que j’ai pénétré dans le triste intérieur du héros, professeur et homme de lettres, le jour où, sa fillette étant morte, il fit un cercueil de la boite qui contenait ses livres et l’emporta sur son dos, car il n’avait pas de quoi payer la cérémonie funèbre. Il me semble que je l’ai accompagné le soir qu’il amena sa femme, toute surprise de sortir avec son mari, dans un restaurant européen, et qu’elle posa timidement sur la table des mains déformées par le travail, et que, pris de pitié pour elle, il essaya de la consoler de n’être pas née homme… On quitte ce roman curieux, quelquefois émouvant, presque toujours diffus, avec la même oppression que si l’on avait longuement séjourné dans une chambre étroite au plafond trop bas.

Je préfère les courtes nouvelles qui conviennent beaucoup mieux à l’impressionnisme japonais. Nous avons révélé aux écrivains modernes le pittoresque de leur vie familière. Ils nous doivent le sens de la couleur qui s’ajoute à leur réalisme exact et minutieux. Ils commencent à voir leur Japon avec des yeux d’artistes européens. Là où leurs peintres échouent encore, ils réussissent. Je voudrais pouvoir citer tout au long une nouvelle de M. Hakucho, intitulée Le Premier Voyage, et parue en janvier 1914 dans la Revue Centrale. C’est le récit du voyage d’un petit garçon de douze ans avec sa grand-mère, qui, pour se rendre du Japon méridional à Osaka, a pris un bateau de pêcheurs, car elle n’aime ni les gros navires, ni les chemins de fer. Rien ne nous donne une sensation plus vive de la petite vie japonaise et du paysage japonais.

Mais, si l’artiste a gardé la sobriété des anciens artistes japonais, sa palette est européenne. Jugez-en par ces quelques lignes. L’enfant est descendu à terre. « Des pins bas croissaient sur un humble coteau isolé des maisons, et l’on voyait un petit temple au milieu. Des ex-voto et des sandales de paille étaient suspendus aux battans des deux portes. Je m’assis sur une pierre devant ce temple. J’apercevais tout le port. L’île d’Awaji apparaissait au-delà des nuages sombres. Un îlot, que n’atteignait point la lumière du soleil tombée d’entre ces nuages, ressemblait à une tache de fumée. Je me rappelai l’îlot de mon pays natal qui brillait comme de l’or au soleil couchant. » Çà et là, une