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Un Japonais qui passe des Nô aux drames de Shakspeare ou d’Ibsen passe d’une civilisation à une autre. Et le passage est abrupt.

Le roman finira peut-être par l’aplanir. Il s’adresse plus à l’individu qu’à la collectivité. Il formera lentement des auditeurs capables de supporter un jour les chefs-d’œuvre du théâtre européen. Je souhaiterais que nos meilleurs japonisans consentissent à interrompre de temps en temps leur déchiffrage des textes anciens et à s’offrir une villégiature sur les pentes du roman moderne japonais. Je ne leur conseillerais pas d’en traduire les productions ; mais ils pourraient y étudier les nouvelles tendances de l’âme japonaise, et ils nous en apprendraient plus que toutes nos impressions de voyage.

Dans un de leurs derniers annuaires, les Méthodistes américains ont recherché l’influence du mouvement chrétien sur la littérature. Ils ont relevé des expressions bibliques qui se glissent aujourd’hui tout naturellement sous le pinceau des écrivains japonais : La Tour de Babel, le plat d’Esaü, les raisins de Chanaan, l’obole de la veuve, l’édifice bâti sur le sable, les pauvres d’esprit, le vin nouveau dans les vieilles outres, l’Évangile de la Paix, Gloire à Dieu au plus haut des deux et paix… Ils ont signalé une nouvelle de M. Nakamura : l’histoire d’un pasteur japonais qui commet un crime et que l’amour de sa femme, une Américaine, rachète et sauve. Ils ont cité un roman Namiko (un des rares romans japonais traduits en français sous le titre Plutôt la mort !) où une vieille dame japonaise raconte comment la lecture de la Bible la tira du désespoir. La chose valait en effet d’être notée, non que ce roman ail beaucoup de valeur, mais parce qu’il s’est vendu à plus de deux cent mille exemplaires et qu’il a fait pleurer bien des yeux sur les victimes de la cruauté des belles-mères. Certes, il n’est pas indifférent de savoir que des façons de parler chrétiennes et que la connaissance ou le respect du christianisme s’insinuent peu à peu dans les lettres japonaises. Plus ils s’y acclimateront, mieux les Japonais comprendront notre littérature et en profiteront. Mais les livres de piété et les enseignemens purement religieux n’ont qu’une action très restreinte.

Colle de nos romanciers l’est beaucoup moins. Depuis une quinzaine d’années, les Écoles des Romanciers japonais reproduisent à peu près les nôtres. Ils ont une école naturaliste dont