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marchait avant le Juif Errant. Le marchand qui a épousé une fille noble, et qui se casse en deux respectueusement à chaque mot qu’elle lui adresse, a déridé, je crois, le public romain avant d’amuser follement le parterre japonais.

Mais le Théâtre Impérial étend son répertoire jusqu’aux pièces traduites des littératures de l’Europe. Et des sociétés d’auteurs et d’acteurs de Tokyo et d’Osaka en montèrent un certain nombre. On a eu Le Théâtre des Hommes de Lettres, Le Théâtre des Temps Nouveaux, La Société des Acteurs Unanimes, Le Théâtre des Pièces Sociales Modernes, Le Théâtre artistique, La Société des Inconnus, Le Théâtre Libre (Jiyu Gekyô), Le Chat Noir (Kuro Neko za). Aucune de ces sociétés n’a réussi. Aucune des œuvres ne s’est soutenue plus d’une semaine. Hamlet valut un succès personnel à l’acteur chargé du rôle principal ; mais les lettrés estimèrent, me dit-on, que cette pièce n’était pas assez moderne. Demandez-vous aussi ce que les Japonais peuvent penser de ce jeune prince qui veut et ne veut pas se venger et qui a si peu de respect pour sa mère ! Jules César tomba à plat. Othello et Macbeth accomplirent leurs crimes devant une salle presque vide. Faust, précédé d’une réclame bruyamment germanique, atteignit à grand’peine sa troisième représentation. Les pièces contemporaines ne furent pas plus heureuses… La littérature française n’est guère représentée dans ce nécrologe que par Le Juif Polonais, intitulé Le Bruit des Sonnettes, Michel Strogoff ou Le Messager aveugle et quelques drames de Maeterlinck, Mona Vanna, La mort de Tintagille, dont personne ne se flatta même d’avoir entrevu le sens. On préférait les Allemands. Ils faillirent attraper l’ombre d’un succès d’estime avec la Magda de Suderman, qui fut jouée sous le nom de Kokyo (pays natal). Mais Hauptman ne se releva point de plusieurs échecs. Le Vieil Heidelberg parut insipide. Ibsen partagea le sort de Shakspeare. Maison de Poupée révéla une actrice de premier ordre. On applaudit l’interprète et non l’héroïne qui ne rencontra aucune sympathie. Jean-Gabriel Borkman se joua devant une assemblée d’hommes de lettres qu’on ne revit plus lorsqu’on donna La Dame de la Mer. Seul, Le Canard Sauvage (Dieu sait pourquoi ! ) sembla fondre la glace. On ne fit que le réciter ; mais on le récita cinq fois de suite. La critique reprocha à l’infortuné Bernard Shaw son manque de sérieux et son obscurité philosophique. La Salomé d’Oscar Wilde ne fit