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garde encore quelque beauté chevaleresque ; et les nobles vestiges de la pièce française exaltent encore la jeunesse et l’amour. Dans une adaptation de Rodogune, jouée en 1913, où Cléopâtre est devenue un Daïmio, — car un rôle de mère atroce n’eût pas été accepté au Japon, — Rodogune demande aux deux frères qui l’aiment de venger son père assassiné en assassinant leur seigneur ; et cette fois nous assistons à un de ces conflits de sentimens intérieurs, si fréquens dans notre théâtre et si rares dans le théâtre japonais où les sentimens se subordonnent et ne s’opposent pas. Et ces nouveautés s’introduisent de la seule manière profitable, sous le Vêtement japonais et sur la scène tournante japonaise. Mais ce n’est pas la seule manière dont elles essaient de s’introduire.


III. — LES ŒUVRES LITTÉRAIRES

Tokyo possède maintenant son théâtre européen : le Théâtre Impérial, une très belle salle occidentale, sans surcharge de dorure. On y voit bien çà et là une dame japonaise qui, fatiguée d’être assise, a grimpé et s’est agenouillée sur son fauteuil, et un pied nu, le pied d’un élégant, appuyé au rebord d’une loge. Mais, sauf ces légers japonismes, la tenue y est parfaite. Les représentations s’y donnent le soir. On y joue des drames et des comédies qui ont des prétentions littéraires. Les drames que j’y ai vus ne se distinguaient en effet de ceux des autres théâtres que par des prétentions. Mais la comédie m’a paru se moderniser. Les hommes sont en Européens, sauf les paysans et, chose curieuse, sauf les personnages dont on veut rire. Les femmes, qui tiennent maintenant les rôles de femmes, conservent le costume japonais et ne le quittent que pour des travestis en habit noir. Cet entre-croisement de vêtemens européens et de vêtemens japonais, — que l’on retrouve du reste dans les salons du corps diplomatique où les femmes des ministres et des personnages officiels ont décidément renoncé aux robes étrangères, — produit sur le théâtre une impression extraordinaire, surtout quand ces habits noirs et ces kimono se mettent à danser aux flonflons d’une musique européenne et que les kimono lèvent la jambe. Les types ne sont point copiés sur des types occidentaux : ils appartiennent à tous les temps. Le vieux marcheur, que sa geisha turlupine,