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Rodrigue venait d’être vainqueur dans un concours de tir à l’arc où don Sanche avait été vaincu. « Déjà ! » pensa don Sanche ; mais, habitué aux défaites, il ne protesta pas. Et très vite on appela don Diègue, qui cherchait partout son épée : « Vous n’avez pas d’épée, lui dit-on ; ne vous êtes-vous point regardé ? Vous êtes maintenant un bonze. C’était une coutume assez répandue que nos grands seigneurs, arrivés à un certain âge, prissent leur retraite dans des bonzeries. Et vous n’êtes point nommé gouverneur du jeune prince. Mais le shogun vous a désigné pour présider à la cérémonie de puberté de son fils. Et voici don Gormas qui escomptait cet honneur. Seigneur don Gormas, veuillez exprimer à cet honorable bonze toute votre mauvaise humeur et faites-nous la grâce de le souffleter. » Don Gormas s’en acquitta en conscience et s’éloigna. Don Diègue se préparait à bondir sous l’insulte ; mais l’auteur japonais l’arrêta : « Oubliez-vous que vous êtes bonze ? Et faut-il vous rappeler que vous savez qu’une flotte de Tartares mongols est en route pour le Japon ? Votre domestique, témoin de l’injure, a beau vous exciter à la vengeance : répondez-lui qu’il n’est pas permis de songer à ses propres affaires, quand le sort de la patrie est en jeu. D’ailleurs votre idée d’éprouver le courage de Rodrigue répugnerait aux Japonais, chez qui les fils connaissent, de temps immémorial, le devoir qu’ils ont de venger leur père. » Don Diègue, tout en pestant contre sa réincarnation japonaise, prononça des paroles qui enthousiasmèrent les auditeurs et qui heureusement ne convainquirent pas son domestique. On n’avait pas à lui faire la leçon, à celui-là ! Il courut prévenir Rodrigue.

À ce moment, il fallut aller chercher don Sanche : « On voit bien, lui dit-on, que vous étiez accoutumé à ne rien faire en Europe. Mais au Japon nous vous avons trouvé de l’occupation. Vous aimez Chimène. Voici précisément sa suivante. Remettez-lui une lettre pour sa maîtresse. Elle la repousse et vous apprend que la fille de don Gormas est fiancée à ce même Rodrigue qui vous a vaincu au tir à l’arc. Grincez des dents et indiquez par votre attitude que vous méditez un mauvais coup. Et reculez-vous un peu ! Un peu plus ! Là, derrière cet arbre qui vous cache suffisamment. Le domestique de don Diègue et Rodrigue s’approchent : il importe qu’ils ne soupçonnent pas votre présence et que vous les entendiez. Rodrigue sait tout. Seigneur Rodrigue, je vous en prie, ne