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L’une, la joueuse de shamisen, prend alors son instrument ; et l’autre, la récitatrice, va se placer devant un petit pupitre. Elles portent toutes deux le kamishimo, l’ancien costume de cérémonie des samuraï, un surplis sombre doublé de pourpre ou de safran, sans manches, dont les épaulettes béantes et raides leur font un buste carré. Agenouillées dans leurs larges pantalons de soie, elles ont un air étrange, presque fantastique. L’une parle et chante d’une voix de tête extraordinairement aiguë, qui semble tour à tour miauler, geindre, ululer et glapir ; l’autre, le visage impassible, la stimule de ses notes stridentes et de ses cris intermittens et rauques. On les écoute avec une religieuse attention, en buvant des tasses de thé. Leur répertoire se compose de romances féodales. Le soir où j’y étais, on en récita deux : l’histoire du Trèfle de Sendai, où la femme d’un samuraï laisse empoisonner son propre enfant pour sauver l’enfant de son prince, et l’histoire d’une femme de marchand aussi héroïque. Elle a été informée que son mari cherchait vainement une grosse somme nécessaire au salut de son seigneur. Elle se fait répudier et se donne à un homme riche, qui lui a promis tout l’argent qu’elle voudrait. Mais son mari la tue. Avant d’expirer, comme elle ne sait pas écrire, elle apprend par cœur à son petit garçon ce qu’il devra dire à son père en lui remettant la somme tant désirée. Le père comprend alors la conduite de sa femme et pleure.

Nous passons au Yosé. Même salle ou à peu près. Mais ici ce sont des hommes qui font des récits ou débitent des monologues. L’esprit japonais s’apparente très souvent au nôtre et à celui des vieux conteurs italiens si amateurs de beffa. Tantôt le récit n’est fait que pour des jeux de scène : un original a peint des tiroirs sur ses murs, et un voleur, qui s’introduit chez lui, essaie de les ouvrir. Tantôt on s’y moque des superstitions qui attendent les spectateurs au sortir du spectacle et qui n’y perdront rien : un jeune homme, chassé par ses parens pour avoir trop couru le guilledou, s’installe comme devin. Les femmes viennent le consulter, et ses baguettes divinatoires leur conseillent à toutes de divorcer, jusqu’au jour où le mari de l’une d’elles l’entend et le rosse. Quelquefois aussi le récit du Yosé parodie ou commente plaisamment le Gidayu. L’auteur imagine un dialogue entre un savant ou un vieillard et un paysan ou un jeune homme naïf. Ce dernier demande ce