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plus que les anciennes exhibitions dont l’ordonnance esthétique recouvrait la misère. L’éclat des maisons de débauche japonaises indignait les moralistes européens. L’européanisme, qui ne s’attaque qu’à l’extérieur, commence à les éteindre. Mais l’ombre où elles se multiplient est plus nauséabonde que l’atmosphère brillante où elles se développaient.

Revenons à Asakusa. Le petit lac est presque sombre du côté de l’église ; de l’autre côté il reflète des façades éclatantes et ses eaux brillent comme une fontaine lumineuse ? C’est la rue des théâtres et des cinémas, pleine de carillons. Ces attractions sont plus variées que les nôtres, puisqu’elles sont à la fois les nôtres et les leurs. Dans nos plaisirs forains la part de l’exotisme est fort réduite. Ici, elle est considérable. On court de préférence aux cinémas. Des témoins m’ont raconté l’effet prodigieux, dans la ville de Kyoto, des premiers films envoyés, si je ne me trompe, par la maison Lumière. On s’écrasait à la porte du théâtre. La représentation finie, les trois quarts des spectateurs refusaient de quitter leur place et se payaient un second tour. Le cinéma ne faisait alors passer sous leurs yeux que des scènes détachées de la vie européenne. Mais la vue d’une brasserie où nos joueurs de manille prenaient des bocks leur semblait aussi merveilleuse qu’à nous une fête de geisha, avec cette différence que nous n’aurions vu dans les jeux de ces menues danseuses qu’un spectacle imprévu et sans conséquence, alors qu’ils voyaient en ce temps-là, dans nos décors et nos gestes, une sorte d’idéal à réaliser. Des applaudissemens frénétiques accueillirent un escadron qui traversait une rivière. Ce tableau était pour eux comme une consécration de l’effort qu’ils accomplissaient : ils avaient enfin la preuve vivante et mouvante que nos guerriers ne différaient plus des leurs. Toutes les scènes n’obtenaient pas le même succès. Les sorties de messe, les cérémonies religieuses réveillaient leur vieille défiance à l’égard de la religion étrangère. Quant à nos effusions sentimentales, elles leur donnaient le fou rire.

Nous sommes loin de ces temps primitifs ! Le premier cinéma où j’entre jouait quelque chose comme Le Cambrioleur amoureux. Cela commençait dans un riche salon. Une femme opulente et très décolletée, à la mode de 1914, est assise sur un canapé. Un monsieur ouvre la porte, s’avance, s’incline, lui baise la main, s’agenouille devant elle, lui reprend la main, lui baise le