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La Duchesse d’Orléans reçut aussitôt la lettre que voici, remplie des sentimens les meilleurs et digne, par le style, d’un élève de Mm8 de Genlis :

« Quand ma tendre mère recevra cette lettre, ses ordres seront exécutés, et je serai parti pour l’Amérique ; je m’embarquerai sur le premier bâtiment qui fera voile pour les États-Unis… Et que ne ferais-je pas après la lettre que je viens de recevoir ? — Je ne crois plus que le bonheur soit perdu pour moi sans ressource, puisque j’ai encore le moyen d’adoucir les maux d’une mère si chérie, dont la position et les souffrances m’ont déchiré le cœur depuis si longtemps… Je crois rêver quand je pense que dans peu j’embrasserai mes frères et que je serai réuni à eux ; car je suis réduit à pouvoir à peine croire ce dont le contraire m’eût paru jadis impossible[1]… »

Il partit aussitôt, quitta Hambourg le 24 septembre 1796, et aborda en Amérique le 21 octobre. Cela passait alors pour une « très heureuse et rapide traversée. Ses frères, embarqués à Marseille sur le bateau suédois Jupiter, échouèrent à Gibraltar, et ne le joignirent à Philadelphie qu’en février 1797. Le siège du gouvernement était alors en cette ville, et le général Washington fit aux trois jeunes princes le meilleur accueil. Louis-Philippe assista à la cérémonie de la remise des pouvoirs à M. Adams, le second président des États-Unis.

Washington s’était retiré à Mount Vernon où il menait la vie d’un gentilhomme campagnard : « Suivez mes deux conseils, lui écrivait La Fayette, de La Grange[2], ayez un secrétaire et montez à cheval de temps en temps. » Il aimait à s’entretenir avec le jeune Duc d’Orléans, et lui donnait de sages leçons de politique libérale. « J’aime cette nation, écrivait celui-ci à sa sœur. Elle sera peut-être un jour une puissante alliée de la nôtre. » Il a raconté pour elle un voyage entrepris avec ses frères jusqu’aux chutes du Niagara, voyage dont Washington avait bien voulu tracer le plan et qui a duré quatre mois. Ils ont couché quinze nuits dans les forêts, dévorés par les insectes, quarante nuits dans de mauvaises cabanes ; ils ont été entourés un jour par une tribu d’Indiens Senecas, « les meilleures gens du monde quand on ne les met pas en colère, » et, en somme, fait

  1. Boutmy, Époques mémorables. Paris, 1845.
  2. La Grange près de Rosoy-en-Brie (S.-et-M.). Ce château appartient maintenant à M. le marquis de Lasteyrie, arrière-petit-fils de La Fayette.