Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un soir, après une longue marche, à bout de ressources, Louis-Philippe est conduit par une heureuse fortune à la porte du chevalier de Rionel. Sous ce nom se cache un illustre réfugié : le général de Montesquiou. C’est à Bremgarten. La maison est fort modeste. Les deux exilés s’embrassent. Quelle joie de trouver un ami, un gîté, un souper au coin du feu ! Et, dès le lendemain, Montesquiou découvrit même pour son jeune camarade un gagne-pain, un emploi de professeur dans un petit collège voisin. Louis-Philippe avait là trois collègues : un jeune homme, un « vieux grison, » et M. Deporta, prêtre catholique, qui disait la messe dans la chapelle du château.

Un certain M. Jost et quelques amis à lui avaient acheté la seigneurie de Reichenau, et dans le vieux château avaient installé une pension. « Nous ne suivrons pas, écrivait Jost, les usages de l’aristocratie, et nous pratiquerons la vraie liberté. » Reichenau était près de Bremgarten, et M. Jost bien connu de M. le chevalier de Rionel. M. Jost fut mis dans la confidence et savait avoir affaire au Duc de Chartres. Mais, pour tout le collège, le nouveau professeur s’appelait M. Chabos. Jost écrit souvent à Rionel : il accorde que M. Chabos soit admis au vivre et au couvert, et même rétribué un jour, si l’on est content. Ce jour vient vite, car le professeur « se tire à merveille de son cours. » Jost ne tarit pas en éloges. M. Chabos seulement parle trop, et cite trop volontiers les noms des gens qu’il a connus. Il se fera découvrir. Il est un peu difficile et porte des chemises trop fines, qu’il veut changer tous les jours. La cuisine de la maison n’est pas à son goût…

Le même fonds contient des pièces plus émouvantes. Quand on apprend la mort de Philippe-Égalité, Chabos subit une crise telle qu’on craint pour sa santé, et Jost, en effet, le déclare malade et l’enferme prudemment. L’exilé jugeait son père sévèrement, mais n’avait pu cesser de l’aimer.

Le chevalier de Rionel pleure beaucoup moins Égalité. Dans une longue et fort belle lettre adressée à un ami suisse, le baron d’Yvernois, en ce moment résidant à Londres, il écrit : « Des misérables ont exécuté le Duc d’Orléans : toute l’Europe avait condamné ses crimes… Les crimes du père ne me portent d’ailleurs qu’à estimer davantage la conduite du fils… J’ai été vingt ans l’ami du grand-père, qui était le plus honnête homme du monde… » Et cet admirable ami, avec un soin paternel