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vertes, et tout autour les matelas, couverts de mousselines ou d’indiennes à fleurs, et chargés de coussins sur lesquels les invités se tiennent assis ou étendus. Dans un coin, les musiciens, les chanteurs ; au milieu, le samovar où l’eau bout pour le thé, les grands plateaux de cuivre remplis de verres, de tasses, de théières et de ces poires d’argent à long col qui servent à répandre sur la tête et les vêtemens l’eau de géranium ou de jasmin, et le brûle-parfum d’où sort la fumée du santal.

Du fond de cette ombre odorante, où gémit le violon et ronfle le tambourin, c’est un plaisir homérique de suivre dans la poussière brûlante le galop de la fantasia. Là-bas aussi, jadis, sur les plages de Troie, au son des lyres et des cithares, et couverts d’huile parfumée, les chefs, les prêtres, les devins se réjouissaient à l’écart, en regardant se divertir les guerriers. Ils sont deux cents peut-être qui se livrent, sous le grand soleil, au jeu de la guerre et de la poudre. Par groupes de trente ou quarante, rassemblés devant la porte de la kasbah ruinée, on croirait voir des combattans qui font une sortie hors des murs. Cavaliers de tribus pour la plupart, ils ont de longs visages maigres où la ruse paysanne s’allie à l’air de noblesse que donne la vie au grand air. Les uns portent autour de leur tête rasée une simple corde de chanvre, d’autres un long voile enroulé, d’autres sont coiffés d’un fez entouré de mousseline. Une chemise transparente jetée sur le caftan de couleur laisse à découvert l’intérieur brillant des manches et le bas des robes éclatantes sur les étriers de fer ; une sacoche de cuir jaune ou rouge est pendue à leur épaule par une cordelette de soie.

Leurs petits chevaux noirs ou blancs, au cou épais et court, à la longue queue traînante, chargés de hautes selles et de multiples tapis, s’alignent sous les murs de la kasbah. Des gens de la tribu, un esclave, un ami, bourrent le fusil, tassent la poudre dans le long tube argenté, tandis que les mendians, qui savent qu’au moment de s’élancer dans l’arène, un cavalier est toujours généreux, circulent au milieu des chevaux et tendent la main en disant : « Que ta main, ô cavalier, frappe le cœur de ton ennemi ! »

Un cri : « O Dieul ô Prophète ! » Et les chevaux s’élancent au galop. Un autre cri : « O nos pauvres enfans ! » comme si tout ce monde se jetait à la mort, et les chevaux précipitent leur allure. Les cavaliers brandissent leurs fusils, abandonnent