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vieux que le monde. Cela dure jusqu’à l’aurore, jusqu’au moment où les muezzins chantent « l’enterrement de la nuit. » De tous les côtés de la ville, leurs lentes phrases désespérées, qui semblent avoir de la peine à se frayer un chemin au milieu de ces ténèbres chargées de choses et de pensées plus obscures encore que la nuit, descendent du haut des minarets. On dirait un puissant effort pour faire triompher le Prophète et l’idée du Dieu unique sur les superstitions flottantes et les multiples divinités qui ont régné dans les ténèbres. Puis, quand l’idée limpide s’est affirmée avec le jour qui naît, alors, dans l’air purifié, se déroulent des modulations joyeuses, une sorte d’alléluia, le grand chant de victoire de la clarté sur les ténèbres, de la vérité sur l’erreur, un salut au Prophète vainqueur des forces souterraines.

Le lion l’a défendu ;
Le chameau l’a salué en lui baisant les pieds ;
La gazelle lui a parlé ; le nuage l’a abrité ;
L’araignée a tissé sa toile devant la grotte

Ainsi chantent les muezzins. Et les coqs réveillés répondent à la voix des chanteurs, si bien que je ne sais quel commentateur du Coran interdit d’en tuer aucun, car eux aussi annoncent la fin des nuits traîtresses et la noble lumière du matin. Çà et là, les ânes qui pullulent au fond des caves et des replis souterrains des maisons blanches de Rabat, mêlent leurs longs braiemens candides à cet hymne de félicité sacrée, impatiens, dirait-on, de reprendre leur vie de misère et de faire jaillir sous leurs sabots charmans la poussière de la route ou l’eau limpide de la noria… C’est le jour, la nuit est en fuite. Là-bas, tout en haut de la ville, dans son palais posé au milieu des grandes cours désertes, le Sultan s’arrache au sommeil pour aller faire sa prière.


VII. — UN PARDON EN ISLAM

Entre les vingt-neuf marabouts d’hommes, les dix marabouts de femmes et les treize zaïouas, qui sont l’honneur et la décoration de la banlieue de Salé, le tombeau de Sidi Moussa brille d’un éclat particulier. Ce saint personnage vivait, il y a quelque six cents ans, dans une chambre misérable du fondouk