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POÉSIES


CELUI QUI MEURT


Regarde longuement celui qui meurt. Voilà
Ce que la guerre atroce à tout instant consomme :
Elle puise en ce corps son effroyable éclat ;
La gloire, c’est Verdun, c’est la Marne et la Somme,
Une armée, c’est un flot compact et rugissant
Où nul visage encor n’émerge et ne se nomme,
Où des milliers de cœurs ont confondu leur sang,
Mais un mourant, c’est un seul homme !

Un seul homme étendu : austère immensité !
Un seul, et tout le poids de la douleur sur lui !
Un seul supplicié sur qui tombe la nuit
Dans les champs. Seul vraiment. Pour lui s’est arrêté
Cet unanime élan de colère et d’audace
Qui l’emportait, puissant, multiplié, tenté,
Épars dans son effort, son espoir et sa race !
Il est seul, il n’est plus de ce groupe irrité
Qui harcèle âprement l’obstacle, et l’escalade !
Il est devenu seul. C’est le plus grand malade.
La mort délie en lui les cordes du héros.
Il est tout seul, avec sa chair, son sang, ses os,
Et toute sa chétive et faible exactitude.
Nul n’est semblable à lui : qui meurt n’a pas d’égaux.
Rien ne peut ressembler à cette solitude !