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Présente, comme sur son unique bien, et rend illogique de sacrifier rien aux autres et à l’avenir, est, pour les responsables des intérêts généraux, la plus pauvre des conceptions. Mettre à prix l’impiété des citoyens et la payer avec la puissance et la richesse de l’Etat est la perversion la plus grossière de l’autorité. Méconnaître que, dans une démocratie, la collaboration au pouvoir doit être accessible à tous, pour le profit exclusif de certains détourner ce qui appartient à la communauté, écarter ceux que leur intelligence de la vie et de l’homme oblige à mieux comprendre et à mieux servir les autres, prendre pour favoris ceux que leur scepticisme destine à chercher et à satisfaire partout et aux dépens de tout leur propre avantage, est doublement trahir l’intérêt public. Encore s’il ne s’agissait que de théories fausses, on pourrait prendre patience, compter sur le temps qui est la pierre de touche des idées ; s’il ne s’agissait que des accaparemens iniques, on se dirait que l’injustice est le droit commun des pouvoirs, qu’après celui-ci un autre apportera sinon le dédommagement de pratiques meilleures, au moins la diversion d’autres torts, et que même sous les pires régimes les peuples continuent à vivre. Mais voilà précisément ce qui n’est pas vrai du présent régime. Ses idées engendrent la mort. Par lui le peuple désapprend de durer. Nous n’avons plus le temps d’attendre, puisque le régime détruit l’avenir, qu’il n’égare pas seulement, mais anéantit la race.

Les semeurs de vide, quand ils ont commencé d’étendre au foyer le désert créé par eux dans la conscience, avaient peut-être une excuse : ne pas savoir ce qu’ils faisaient. Avant la guerre, l’orgueil de la prospérité et les mœurs de la richesse conspiraient avec l’enseignement qu’épuiser tous les plaisirs de toutes les heures est la loi de la vie. Et il y avait une rancune assez répandue de cette volupté contre la croyance, qui avec les mots de sobriété et de sacrifice montrait aux gais compagnons sa face de carême. Mais Dieu a une façon de se rappeler aux sociétés qui l’abandonnent. Il détruit en elles ce qui les séparait de lui. Au temps où chacun se choisissait sa vie a succédé un temps où la vie d’un coup a été imposée à tous par le devoir, le devoir qui la rend triste, rude, laborieuse et non seulement la désenchante, mais la sacrifie. Le scepticisme eut la surprise que les attardés se trouvassent des prévoyans. Qu’ils se fussent