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Si elle se taisait devant le mal pour conserver comme disciples ceux qui ne sont plus des fidèles, elle se déserterait elle-même. Sa mission n’est pas de l’emporter par le nombre, mais par les vertus de ceux qu’elle guide. Que beaucoup l’abandonnent ne se sentant plus le courage de la suivre, c’est leur faute, mais ce serait sa faute si beaucoup croient qu’ils peuvent être à la fois à elle et à leurs vices. Une minorité de chrétiens véritables s’imposera au respect et par lui accréditera sa morale, une majorité de chrétiens trop semblables aux incrédules ne persuadera pas ceux-ci de venir à elle. Ces règles s’appliquent aux doctrines, de l’Église sur le devoir conjugal. Les progrès- du savoir licencieux sont tels qu’il n’y a plus grand péril de troubler des innocences parfaites en condamnant avec la précision requise les stérilités volontaires. La loi de procréation contient plusieurs commandemens qui ne sont ni à amoindrir, ni à diviser : elle ne permet ni aux époux de se faire plus prévoyans que la nature, ni aux maîtres de refuser à leurs serviteurs le droit d’être pères et mères, ni aux propriétaires d’interdire systématiquement domicile dans leurs maisons aux enfans nombreux. Tout cela étouffe la race, tout cela doit être déraciné pour la sauver, tout cela appelle l’action courageuse de l’Église[1].

  1. « Rien ne peut dispenser d’aborder de front la question, si épineuse qu’elle puisse être. C’est ce que comprenaient les grands évêques du XVIIe siècle, en présence des premières manifestations du mal dont nous souffrons ; un saint François de Sales, dont l’Introduction à la Vie dévote, trop souvent expurgée, contient des pages si nettes et si fermes sur les devoirs du mariage, ou un Bossuet qui, dans son catéchisme de Meaux, n’avait pas craint d’insérer cette demande et cette réponse : « Dites-nous quel mal il faut éviter dans l’usage du mariage ? — « C’est de refuser injustement le devoir conjugal ; c’est d’éviter d’avoir des enfans, « ce qui est un crime abominable. »
    « Ce langage serait-il encore possible aujourd’hui ? Je doute qu’aucun catéchisme le tienne. Est-ce un progrès de ne plus pouvoir l’entendre ? Est-ce par l’effet d’une pudeur plus susceptible ? Ou bien parce que nous en avons perdu l’habitude ? Mais pourquoi ne nous le laissait-on plus voir dans tel livre ou le sujet s’amenait naturellement ; même dans les examens de conscience et les manuels de confession ? N’a-t-on pas réservé le sujet pour la confession sous prétexte qu’il était trop délicat pour l’aborder en public ? Et n’a-t-on pas ensuite évité de l’aborder en confession, sous prétexte de ne pas « éteindre la mèche qui fume encore, » et pour laisser à des fautes qu’on n’espérait plus empêcher, du moins le bénéfice de l’excuse et de l’ignorance ? Craignait-on de vider les églises et de faire brusquement apparaître derrière la façade catholique effondrée des réalités décourageantes ? Autant de questions intéressantes qu’il serait, prématuré et présomptueux de traiter… L’essentiel est qu’aujourd’hui, sous une forme ou sous une autre, l’enseignement nécessaire soit donné. Et il l’est, témoin les nombreux évêques, qui ont dans ces dernières années consacré à la dépopulation des lettres pastorales ; témoin les initiatives particulières de plus en plus nombreuses et de plus en plus zélées au fur et à mesure que le fléau parait plus grave. » Edouard Jourdan, Contre la dépopulation, p. 30 et 31.