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comme moi la liste abominable publiée à Coblentz. E. R. P. : écartelés, rompus, pendus. J’y figure ; votre père aussi. »

« Cette liste est apocryphe, tout le monde le sait, » riposte le prince. Et il maintient son jugement sur d’horribles représailles prises par avance, sans condamnation, contre des gens sans armes.

Danton, enfin (j’ai pu copier ces quelques lignes dans les pages nombreuses du manuscrit), s’écrie : « Savez-vous qui a fait les massacres de Septembre ? C’est moi. » Et, sur un mouvement d’horreur que le prince ne peut maîtriser : « Oui, c’est moi. Remettez-vous et écoutez tranquillement… Au moment où toute la partie virile de la population se précipitait aux armées et nous laissait sans force dans Paris, les prisons regorgeaient d’un tas de conspirateurs et de misérables qui n’attendaient que l’approbation de l’étranger pour nous massacrer nous-mêmes. Je n’ai fait que les prévenir… »

Il a dû voir, à la figure du jeune lieutenant-général, que l’argument semblait médiocre. Il en saisit un autre. « Je ne suis pas dupe, dit-il, de l’enthousiasme patriotique qui transporte notre jeune vertu ! Je crains ces changemens subits qui nous exposent à des terreurs paniques, à des sauve-qui-peut, même à des trahisons. J’ai voulu que toute la jeunesse parisienne arrivât en Champagne couverte d’un sang qui m’assurât de sa fidélité ; j’ai voulu mettre entre eux et les émigrés un fleuve de sang. »

La scène, l’aveu sont vrais, car le récit du témoin, est d’un ton sincère et minutieusement précis. Le Roi avait souvent raconté l’histoire à ses enfans, et je l’ai moi-même entendue redire un jour à Chantilly par Mgr le Duc d’Aumale, avec le terrible mot final.

Danton expliquait un acte abominable par de bien mauvaises raisons ! Quand des armées se rencontrent, elles sont vite séparées par un fleuve de sang : le combat marque bientôt entre elles cette affreuse frontière. S’assurer de la fidélité des siens, en essayant de les compromettre dans de préalables assassinats, est odieux et superflu. Danton avoue, mais ne justifie pas. L’audace n’est pas d’avoir accompli de tels actes : car il ne les a pas accomplis, mais laissé commettre. L’audace, c’est de les prendre à son compte.

Le reste de la conversation se passa en conseils de prudence