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abandonné, titres et argent. — Renoncez à la Convention, allez vivre en Angleterre, pays que vous aimez. — C’est impossible. — Ou bien en Amérique ? — Des plantations, des nègres ! Comme Washington ! Oh ! non. Ici du moins on a l’Opéra. »

Et il y entraîne son fils. Pas un soir il ne manquait d’aller au théâtre. À la fin de la soirée, une actrice, un drapeau à la main, chante les couplets fameux de la Marseillaise :


Amour sacré de la Patrie
Conduis, soutiens nos bras vengeurs.


Le public acclame. Le jeune général se sent ému. Il regarde son père : Philippe-Egalité dormait.

Le lendemain, il le suit à la Convention et va s’asseoir dans les tribunes. Citons ici quelques lignes de ses notes :

« Mon Dieu, est-ce là l’Assemblée qui va régler sans frein les destinées de la France ?…

« Il était impossible de ne pas distinguer son père, tant sa contenance simple et noble et sa tenue toujours soignée faisait contraste… Leurs costumes plus que négligés se ressentaient de l’esprit d’une époque où la grossièreté passait pour une vertu républicaine. »

Lors d’un précédent voyage, il avait vu Marat monter à la tribune, un foulard sale autour de la tête. Marat demandait un verre d’eau. « Apportez, lui crie quelqu’un, un verre de sang ! » Marat était venu dénoncer les Brissotins. Personne ne l’écoute. Il appuie sur sa tempe le canon d’un pistolet. Nous imaginons une scène de terreur : ce ne fut qu’une scène grotesque. De toutes parts éclataient les rires et les huées. On se moquait de Marat, dont les restes devaient être quelques mois plus tard portés au Panthéon !

Cependant, le Roi est prisonnier au Temple et va être mis en jugement. Le jeune prince, toujours plein de respect et d’affection pour son père, mais saisi d’une affreuse angoisse, le questionne franchement. « Ne crains rien, répond celui-ci ; il est otage pour notre sécurité et aussi pour la sienne. Il retrouvera sa liberté à la paix. — Et si vous aviez à le juger ? — Je me récuserais. »

Le Duc de Chartres rejoint donc sa brigade en Flandre. Il