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physionomie des paysages : elles ajoutent de nouvelles touches au tableau. Les cultures et les établissemens humains ne sont pas groupés au hasard. L’état du manteau végétal est révélateur de changemens qui intéressent la vie tout entière de la contrée. La tâche la plus élevée du géographe consiste à démêler l’effort incessant par lequel la nature animée cherche à s’adapter à des conditions perpétuellement sujettes à se modifier. » La nature animée, — la nature et les hommes, — voilà ce que M. Vidal de la Blache eut le souci de peindre en chacune de nos provinces, en chacun de nos pays. Sa peinture est savante et a pourtant les plus charmans attraits de la spontanéité. Je veux dire qu’il sait les causes : les ondulations des vallées et leur dessin ne l’étonnent pas. Ne l’étonnent pas, et néanmoins l’émerveillent. Ce qu’il sait ne l’empêche pas de garder une délicieuse fraîcheur de l’émoi ; et nos peintres les plus décidément impressionnistes, qui ne veulent que noter les dehors soudains et momentanés d’un site, n’ont pas aperçu de plus menus détails, plus remuans et fugitifs, ne les ont pas indiqués avec plus de vive justesse, en leur laissant leur frisson. Mais lui ne se contente pas de ces visions rapides ; et il ne se contente pas de ces fragmens épars d’une réalité dont il saisit l’ensemble, et dont il a posé fortement les bases, les soutiens, les tréfonds, et dont il fait frémir les surfaces : ainsi, bien enracinés dans le sol, frémissent les trembles.

Il montre la relation du sol et des habitans. Ceux-ci, le sol les a rendus ce qu’ils sont, laborieux ou nonchalans, selon l’effort que leur demande le sol. Et ils ont emprunté au sol de leur pays les matériaux de leurs maisons, de leurs chaumières, de leurs granges, de leurs étables, qui sont, à cause de cela, de la même couleur que le paysage. Eux aussi, les paysans, prennent la couleur des entours et prennent la forme où les incline leur besogne. Les âmes subissent de pareilles influences : les horizons larges ou étroits étendent ou ramassent leur rêverie…

Sur les plateaux limoneux de la Picardie, la charrue s’enfonce bien, ne risque pas de se heurter à des cailloux, trace facilement ses larges sillons. Sur de tels plateaux se sont prises les habitudes agricoles de la France… « Depuis plus de vingt siècles, la charrue fait pousser des moissons de blé sur ces croupes. Le chemin se creuse dans le limon aux abords des éminences qu’occupent les villages. Entre les champs nus, sillonnés de routes droites qui souvent sont des chaussées romaines, le regard est attiré çà et là, généralement au sommet des ondulations, par de larges groupes d’arbres, d’où émerge un clocher.