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sol. Après tant de hasards, mérite-t-elle le nom d’un « être géographique ? » Est-elle, géographiquement, une personne, selon le mot de Michelet ? Certes, oui ! C’est la réponse qui, du cœur, nous saute aux lèvres. Sa figure nous est si familière ! Et, quand la France de l’Est fut arrachée à la France, nous avons eu le sentiment qu’une blessure se marquait à ce visage. Nos mémoires ont refusé de s’accoutumer au visage blessé de la France. Il y a dix-neuf cents ans, Strabon, décrivant notre pays, vantait « la correspondance qui s’y montre sous le rapport des fleuves et de la mer, de la mer intérieure et de l’Océan. » Les marchands, venus de partout à Marseille, voyageaient commodément chez nous et, par nos rivières et par nos vallées, allaient fort loin, d’une mer à l’autre. C’est leur opinion que Strabon reflète ; et il dit que la Gaule est composée « comme en vertu d’une prévision intelligente. » Cette courte phrase, et depuis longtemps célèbre, nous chante agréablement à l’esprit. Cependant, la structure géologique de la France n’est pas si homogène que ce soit elle qui accomplisse l’unité de la France. « Le massif central ne peut être considéré comme un noyau autour duquel se serait formé le reste de la France. De même que la France touche à deux systèmes de mer, elle participe d« deux zones différentes par leur évolution géologique. Sa structure montre à l’Ouest une empreinte d’archaïsme : elle porte, au contraire, au Sud et au Sud-Est, tous les signes de jeunesse. Ses destinées géologiques ont été liées pour une part à l’Europe centrale, pour l’autre à l’Europe méditerranéenne. » Ainsi, l’unité géologique nous manque. Et alors, l’individualité géographique de la France, il faut la chercher ailleurs, en d’autres qualités. A défaut d’unité, n’a-t-elle pas la variété ? Mais la variété est un principe de dispersion : oui, sans doute, à moins que cette variété ne soit dominée par un principe d’harmonie. Et toute la France est là : « une harmonie vivante, une harmonie dans laquelle s’atténuent les contrastes réels et profonds qui entrent dans la physionomie de la France. » Massifs anciens avec leurs terres siliceuses et froides, zones calcaires chaudes et sèches, bassins tertiaires diversement combinés se succèdent, s’arrangent et s’agencent bien. Le bassin parisien, le bassin d’Aquitaine et le bassin de la Saône alternent avec l’Ardenne, l’Armorique, le Massif central et les Vosges. Les régions se répartissent de sorte que nulle d’entre elles ne soit confinée, isolée, revêche à ses voisines. La France est le pays du voisinage. Et cette harmonie heureuse qui, avec tant de variété, réalise l’unité de la France, le sol l’a rendue possible, aisée peut-être : ce sont les habitans du sol qui l’ont achevée, qui l’ont menée à la perfection.