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permis de dire cependant que ce n’est pas une œuvre de circonstance. Au cours de mes études sur la géographie de la France… » L’auteur, en un mot, continue ; et, si la soudaineté des événemens ne l’a pas déconcerté, ne lui a pas démenti sa méthode et les résultats qu’il en avait obtenus, si la continuité de sa pensée accompagne facilement la continuité des épisodes contemporains, c’est la preuve qu’il était dans la bonne voie, dans le chemin de la vérité, naguère aperçue, et maintenant vue, car elle se dévoile et devient parfaitement claire.

La géographie avait-elle donc tout prévu, quand la politique a bien l’air de n’avoir quasi rien deviné ? Je disais que l’œuvre de M. Vidal de la Blache était de qualité scientifique : autant dire qu’elle est prudente, et se méfie de tout, et principalement se méfie d’une fausse rigueur. Nous n’avons que trop accoutumé de nous représenter la science, et toute science digne de ce nom, sous la forme d’un syllogisme ou d’un théorème. D’ailleurs, un syllogisme, si d’aplomb qu’il soit, repose sur des prémisses, qui elles-mêmes ont leur appui sur d’autres ; et les dernières nous échappent : le syllogisme nous mène avec assurance devant lui, mais il ne nous invite pas à chercher ses lointaines origines, son mystérieux départ. Et les théorèmes les mieux conduits, Henri Poincaré a montré ce qu’ils contiennent d’essentiellement douteux. En outre, le mot de Science, appliqué à des recherches qui n’ont que très peu d’analogie entre elles, fait illusion. N’est-ce pas Charles Renouvier qui, à ce propos, a donné le premier avertissement ? Il suppliait qu’on dît « les sciences, » non « la science, » chacune des sciences ayant, avec son objet particulier, ses procédés, ses moyens d’enquête, ses prétentions légitimes, ses conséquences. Mais on parle de la science comme si elle n’était pas une réunion d’études variées, comme si elle était un ensemble qui fût réel, inachevé encore, en train de se compléter, pour aboutir à un total substantiel et organique. Cette illusion n’est pas uniquement populaire. Elle a pénétré jusqu’en certains laboratoires ; elle a nui à plusieurs études, qui voulaient qu’on les traitât doucement, à leur guise, et auxquelles on a infligé d’impitoyables disciplines.

M. Vidal de la Blache est celui de nos savans qui a le plus contribué à faire de la géographie une science. Il l’a dégagée de la nomenclature et du récit de voyage. Il n’a pas inventé de l’enrichir par la géologie, la climatologie, l’économie politique et l’histoire. Avant lui, les atlas contenaient des cartes du terrain, des cartes des courans et des températures, des cartes des empires et de leurs modifications