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München-Gladbach. Il y avait logé chez de très vieilles gens. Son hôte, plus qu’octogénaire, était fils d’un de nos anciens soldats rhénans ; il ne savait pas un mot de notre langue, mais il lui avait chanté en français les chansons de route de nos troupiers ; son père les lui avait apprises. Le même Lorrain, à Trêves, s’était entendu dire : « C’est grand dommage pour nous que Napoléon ait été battu à Waterloo, car alors les Prussiens sont arrivés, et avec eux le malheur. » Je n’oublierai jamais la rencontre que j’ai faite en 1911 d’un jeune, Mosellan. Il portait en épingle de cravate le petit chapeau et avait à sa breloque l’effigie du vainqueur d’Iéna : « Mon grand-père, me déclara-t-il, l’a vu passer chez nous. Il est inutile que l’on me parle de Frédéric II et de Bismarck : nous ne connaissons pas ces gens-là ! »

Certes, aucun mouvement d’opinion, à la veille de la présente guerre, ne révélait une hostilité violente contre la Prusse et contre l’Empire. Des statues de Moltke s’élevaient sur les places publiques ; les vitrines des libraires exposaient des portraits de Guillaume II ; un pur loyalisme semblait animer les populations. Or il n’est pas bien sûr qu’à Berlin on ait estimé que l’assimilation fût complète. Pourquoi donc l’Empereur, après avoir étudié à Bonn, y envoya-t-il plusieurs de ses fils, tandis qu’un autre était expédié à-Strasbourg, mais aucun dans les anciennes provinces ? N’était-ce point parce qu’on voulait combattre une certaine froideur et susciter un enthousiasme prussien qui faisait encore défaut ? Pourquoi, en 1913, et avec grand fracas, fit-on remonter le Rhin par une petite escadre de torpilleurs ? N’est-ce point pour la même raison ? Tous les ans, le 2 septembre, jour anniversaire de Sedan, les villes rhénanes offraient un bien curieux spectacle : les églises protestantes, pavoisées, étaient en fête et regorgeaient d’une foule recueillie, venue pour entendre de véhémens sermons patriotiques ; les églises catholiques au contraire étaient vides et ne s’ornaient d’aucun drapeau, si bien que l’on avait le sentiment que deux populations différentes, l’indigène et l’immigrée, coexistaient sans se confondre et que la seconde avait des allégresses auxquelles ne participait point la première. La Prusse considérait-elle encore comme vacillant le loyalisme des provinces rhénanes ? Est-ce à cause de cela qu’elle envisageait assez facilement leur perte après des désastres militaires ? « En cas de défaite, disait à M. Ibañez de Ibero une haute personnalité berlinoise