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de France, dit-il, ont une gravité exceptionnelle, parce qu’elles agissent sur des sentimens mal éteints et parce qu’elles sont un encouragement a des résistances dont nous voulons avoir raison à tout prix. » Le 16, la Gazette de l’Allemagne du Nord écrit que la France doit rompre avec l’ultramontanisme si elle veut réellement la paix. La pensée du chancelier est donc très claire : ou bien les catholiques allemands se soumettront, ou bien nous devrons subir nous-mêmes une guerre préventive d’où nous sortirons si meurtris que personne ne pourra plus jamais espérer en notre secours. En mars 1875, l’ambassadeur Hohenlohe vient dire au duc Decazes que l’Allemagne considère nos armemens comme une menace pour elle, et, le 8 avril, la Post lance son fameux article : « Krieg in Sicht ? La guerre est-elle prochaine ? » L’alarme dure jusqu’en juin, et seule l’intervention de la Russie et de l’Angleterre détourne 1’orage. Mais Bismarck ne renonce pas tout à fait à la solution qu’il a entrevue, et il compte bien recourir aux armes si jamais l’Europe se désintéresse de notre sort. Pendant toute la durée du Kulturkampf ses journaux parlent pour lui : lors du 16 mai encore, ils estiment que le ministère de Broglie, par sa politique cléricale, conduit tout droit à la guerre.

Il importe de se demander si les hommes d’Etat prussiens, au cours de cette lutte si brutalement conduite, n’ont pas été victimes d’une hallucination collective. Or il apparaît bien qu’ils ne se sont pas trompés. Ce n’est pas ici le lieu de faire l’histoire de la persécution dans la vallée du Rhin, mais bien de dire quelle a été la résistance. Dans la coalition catholique qu’il combat, Bismarck démêle vite que les élémens les plus agissans sont les Rhénans, pour ne point parler des Bavarois, des Polonais et des Alsaciens-Lorrains, Il ne lui échappe pas que leur catholicisme s’est exaspéré du jour où la France a été battue, comme s’ils voulaient fortifier leur opposition en la couvrant de la haute autorité du pape, mais sans en modifier la direction. Avant 1870, ils votaient généralement pour des libéraux, parce que ces libéraux, par leur action parlementaire, tendaient à affaiblir la force prussienne. Mais, dès le 1er octobre 1870, par une lettre écrite au chancelier, Ketteler avait fait connaître que l’annexion de l’Alsace-Lorraine inquiétait les fidèles de l’Église romaine et qu’ils craignaient de voir s’ouvrir « une ère de malveillance religieuse pouvant aller jusqu’à des